Depuis le début de la crise du COVID-19, les circuits courts alimentaires ont été extrêmement sollicités, mettant en évidence leur force mais aussi leur vulnérabilité. Plusieurs acteurs en Provence-Alpes-Côte d’Azur partagent leurs retours d’expérience et l’impact de cette période sur leurs activités : Comment ils se sont adaptés, les difficultés auxquelles ils ont dû faire face et comment ils envisagent aujourd’hui de poursuivre ou de réinventer leur activité. Ces témoignages permettent de dégager des pistes de réflexion pour consolider encore davantage ces circuits et construire un système alimentaire plus résilient.
Agathe LAURE, professionnelle spécialisée sur les questions de transition alimentaire et agricole, co-anime le collectif ALiMENT (Association libre pour un manger équitable, naturel et territorial) qui regroupe des acteurs de terrain pour apporter leur expertise dans le développement du Projet Alimentaire Territorial (PAT) de la Métropole Aix-Marseille-Provence et du Pays d'Arles.
Face à une demande exponentielle pour les produits frais, sains et locaux, les producteurs et distributeurs interrogés ont fait preuve d’une grande capacité d’adaptation pendant le confinement
Une explosion de la demande de la part de consommateurs habitués des circuits-courts et de nombreux nouveaux clients
Déstabilisés par le bouleversement des circuits courts alimentaires suite au confinement (fermeture des débouchés habituels : restauration collective, restauration hors domicile, hôtellerie, etc.) et contraints par les restrictions sanitaires, les acteurs interrogés ont dû faire face dans l’urgence à une demande très forte de la part des consommateurs. L’épicerie Terre de Potage, à Pierrefeu-du-Var (83), spécialisée dans les produits bio, locaux et le vrac, a ainsi enregistré pendant le confinement des ventes exceptionnelles, en très forte progression par rapport à l’avant confinement.
En plus de nos clients habituels, explique Alexandra, en charge de l’épicerie Terre de Potage, nous avons eu énormément de nouveaux clients, qui voulaient soutenir les producteurs, manger plus sainement ou éviter les supermarchés.
L’épicerie paysanne ADELE (Association de Distribution Equitable, Locale et Ecoresponsable) à Marseille, a également connu une forte demande, bien supérieure à la normale de l’année précédente, avec de nombreux nouveaux clients.
De même, Marion du Réseau des magasins de producteurs en Provence-Alpes-Côte d’Azur (Réseau TRAME) témoigne de l’augmentation globale de la demande dans les magasins du réseau qui ont malgré les contraintes sanitaires, maintenu leurs activités et ont vu leur chiffre d’affaire augmenter fortement. Pendant le confinement, si certains magasins ont observé une baisse de fréquentation, ils ont bénéficié d’une augmentation notable du volume moyen des achats, qui ont doublé en moyenne. Cependant elle note que cette hausse a concerné majoritairement les magasins en centre ville. Ceux qui dépendent davantage du tourisme local ont eux connu une baisse importante de leur activité et des difficultés économiques notables.
Du côté des Paniers Marseillais (PAMA), association regroupant des associations de quartier à Marseille fonctionnant sur le principe des AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), l’augmentation de la demande s’est aussi fait sentir. Pendant le confinement, les adhérents étant déjà abonnés à des paniers hebdomadaires ont pu bénéficier de leurs paniers de fruits et légumes habituels. Mais leur intérêt pour les produits frais hors maraichage (viande, fromage) et les produits d’épicerie a également beaucoup augmenté. Les Paniers Marseillais ont également connu un intérêt grandissant de la part de nouvelles familles, à raison de 500 familles supplémentaires en deux mois, croissance incomparable par rapport aux années précédentes, après une demande en stagnation depuis quelques années. Pour répondre à cette demande soudaine, les Paniers ont vendu des paniers ponctuels et ont généralisé les paniers découvertes mensuels. Le système de parrainage, qui était également peu utilisé, a bien fonctionné pendant cette période.
Même si une dynamique ascendante était observée en début d’année, la courbe a été exponentielle pendant le confinement
explique Agnès, animatrice des Paniers Marseillais.
Les nouvelles formes de distribution et initiatives mises en place dans l’urgence pour répondre à la forte demande ont rencontré un grand succès
Les structures interrogées ont été extrêmement réactives face à cette nouvelle demande et ont reconfiguré certains de leurs circuits de distribution. Ainsi, dès la fermeture des marchés, les paysans du marché de la Gavotte (13), marché soutenu par l’ADEAR 13 (Association pour le développement de l’emploi agricole et rural) des Bouches-du-Rhône, se sont ainsi montés en collectif pour proposer un point de retrait aux clients du marché et aux autres clients potentiels. Face au succès de ce format, l’ADEAR, l’a proposé aux sept marchés paysans qu’elle accompagne dans le département. Trois points drive ont ainsi été mis en place, regroupant des paysans de tout le département et des départements limitrophes (Var, Gard, Vaucluse, Alpes de Haute Provence et Hautes Alpes).
Les drives ont dans l’ensemble très bien marché, explique Anne de l’ADEAR 13, avec entre 150 à 250 commandes par marché par semaine. Certains paysans ont même fait de meilleurs chiffres d’affaires que lors des marchés
Photo @Du marché au palier
Pour répondre à la forte demande des consommateurs malgré sa fermeture, le Marché de producteurs de la Joliette à Marseille, a développé un système de livraison à domicile : « Du marché au palier ». Les débuts ont été laborieux explique Chloé, une productrice du marché qui a monté l’initiative, notamment pour la gestion comptable, mais une fois mis en place, les producteurs ont observé d’importants gains de temps et ont été très satisfaits.
Cette initiative mise en place dans l’urgence, explique Chloé, a commencé très petit, puis s’est agrandie rapidement face à son succès, en passant d’une trentaine de commandes par semaine à 160 pendant le confinement. Ce système a extrêmement bien fonctionné avec un chiffre d’affaire total de 44 000 euros.
De son côté, l’épicerie ADELE a rapidement mis en place un système de paniers d’assortiment de produits de saison en remplacement du libre service. En effet, explique Agnès, directrice de l’épicerie, la taille de l’épicerie ne permettait pas d’accueillir plus de trois clients à la fois avec les mesures sanitaires, ralentissant grandement la circulation. On s’est donc organisé pour permettre de répondre à la demande : un tiers de la boutique a été consacrée à la vente au détail (mais le service opéré par les salariés de l’épicerie) et les deux tiers à la fabrication des paniers. Le chiffre d’affaires de l’épicerie a connu une forte augmentation.
Ce double système, explique Agnès, a permis de réduire l'attente des clients, de protéger clients et salariés, de préserver l'équilibre économique de la structure et d’écouler autant de marchandises produites par les paysans. Cela a nécessité un très gros effort d'adaptation pendant 15 jours, mais de 20 paniers par semaine, les ventes sont passées à plus de 50 paniers par jour.
La forte demande et la réorganisation rapide de la distribution ont mis en exergue certains points de tension et limites de ces circuits
Si les structures interrogées ont fait de beaux chiffres d’affaires, l’offre a été fortement mise en tension et parfois insuffisante pour répondre à l’augmentation soudaine de la demande
Dans l’épicerie Terre de Potage, la disponibilité des produits a en effet été mise en tension, surtout pendant les deux premières semaines de confinement alors que la demande était énorme et que la quantité de production supplémentaire n’avait pas pu être anticipée.
« La gestion a été nécessairement plus intense et plus compliquée pendant la période de confinement, explique Alexandra, avec des commandes plus importantes auprès des grossistes et des producteurs. Mais avec quelques rééquilibrages, il y a eu une offre de production localesuffisante pour y répondre, et ce, avec une grande diversité de produits. »
Pour Marion du réseau TRAME, l’approvisionnement a également pu suivre la demande, notamment grâce à la redirection des productions dédiées aux marchés vers les magasins de producteurs. C’est la fermeture des autres débouchés qui a donc permis de pouvoir répondre à la forte demande. De même au sein des Paniers Marseillais, notamment grâce à deux producteurs qui travaillaient habituellement dans des marchés et ont donc eu d’importants surplus de production.
De nouveaux producteurs ont également été accueillis dans les Paniers Marseillais pendant cette période. Leur intégration était en dormance depuis quelque temps, explique Agnès, mais cette crise a été l’opportunité de les intégrer rapidement pour écouler leurs productions et ils ont fait de belles ventes.
Par contre, les initiatives de paniers qui ont été lancées ont rencontré un tel succès que le nombre de paniers a dû être limité par la demande. L’initiative Du marché au palier a ainsi dû bloquer le nombre de paniers à vendre. Certains producteurs ont également eu énormément de demande à la ferme, et pas assez de production pour y répondre. Dans l’épicerie ADELE, la demande de paniers a également dépassé largement l’offre disponible. A tel point que certains producteurs, ayant pourtant d’autres débouchés plus directs à leur disposition ont décidé de continuer à assurer l’approvisionnement de l’épicerie par solidarité, explique Agnès.
Au début, explique Agnès, l’offre était surabondante par rapport à la demande, puis cela s’est inversé avec la demande grandissante des consommateurs et la mise en place progressive de ventes directes à la ferme par les producteurs.
Les initiatives présentées ont rencontré un grand succès au prix d’une charge de travail importante de la part des producteurs, des distributeurs et des nombreux bénévoles sur lesquels reposent certains de ces circuits.
Pour les paysans adhérents à l’ADEAR explique Anne, la mise en place de drive et de paniers a été très contraignante en termes d’organisation et a demandé énormément de travail supplémentaire en amont.
Ce format était nouveau pour de nombreux paysans explique-elle et il semble que la majorité d’entre eux ont été satisfaits de reprendre le rythme des marchés. Les retours sont similaires auprès des épiceries interrogées, qui décrivent une période épuisante autant physiquement que psychologiquement pour les salariés, mais a été également extrêmement riche et gratifiante.
C’est la mobilisation rapide de ses adhérents qui ont permis aux Paniers Marseillais d’adapter les distributions aux contraintes sanitaires, de trouver des locaux dans l’urgence pour la remise des paniers, ou de mettre en place le système de drive, explique Agnès. Cette période a été un véritable booster de mobilisation, redynamisant les forces bénévoles existantes et révélant de nouvelles personnes désireuses de s’impliquer.
Pour les Paniers Marseillais, dont les associations adhérentes fonctionnent comme des AMAP, le fonctionnement de la structure et des distributions repose sur les particuliers adhérents, tous bénévoles, à l’exception d’une salariée.
Pour Alexandra de l’épicerie Terre de Potage, cette période a également de créer de nouveaux liens et connections avec les habitants. Leur ancrage maillage local fort et leur réseau de bénévoles construit depuis quelques années avec l’association Pierrefeu Terre de Partage leur a également permis de soutenir et relayer de nombreuses actions solidaires comme la préparation et les livraisons de repas et de dons aux personnels de santé et aux personnes les plus précaires.
Cette période a également mise en exergue les défis d’organisation qui se posent pour ces structures, notamment pour la logistique et le stockage
Aux Paniers Marseillais, le confinement et la demande croissante pour les produits hors maraîchage (non compris dans les paniers hebdomadaires reçus par chaque adhérent), ont été l’opportunité d’expérimenter un nouveau système logistique pour faire parvenir ces produits jusqu’au lieu de distribution. Jusqu’à maintenant, ces produits étaient vendus sous forme de distributions « mutualisées » organisées ponctuellement, avec des commandes passées à l’avance, réunissant sur un même site l’ensemble des producteurs. Pour répondre à la forte demande, la distribution de ces produits a été multipliée et modifiée, avec un système de drive entre les producteurs et les référents de chacun des 30 Paniers Marseillais répartis dans la ville pour récupérer les commandes et les livrer sur leur lieu de distribution habituel du quartier. Grâce à ce système, les producteurs ont vu leur chiffre d’affaires sur ces produits augmenter de manière très importante pendant le confinement (20-22000 euros CA par évènement pour hors maraîchage). Pour Agnès, cette période a renforcé la dynamique de développement des paniers et la réflexion sur la logistique verte du dernier kilomètre, particulièrement problématique pour les circuits courts.
Cela a été l’opportunité pour les Paniers Marseillais, explique Agnès, d’améliorer notre système logistique. Ce système s’est révélé plus efficient et plus rapide et a été très apprécié par les adhérents et les producteurs.
Agnès de l’épicerie ADELE témoigne également des limites logistiques pour l’approvisionnement des produits. De nouvelles tournées de livraison des produits vers l’épicerie ont été ajoutées, en partenariat avec deux autres épiceries paysannes de la ville avec qui les trajets sont mutualisés. Ce coût dit « du dernier kilomètre » des approvisionnements en ville reste également selon elle, un défi important. Nous avons également été contraints par l’espace disponible de stockage et les capacités de réfrigération, explique Agnès, qui limitent les quantités de produits à écouler.
La question de l’approvisionnement et de la logistique pour les épiceries soulève, selon Agnès, notamment l’importance des marchés d’intérêt locaux, qui gagneraient à être développés sur le territoire pour offrir des points de rencontre d’échange de marchandises pour ces circuits.
Les adaptations et innovations mises en place par les acteurs mettent également en exergue des pistes de réorganisation, de structuration et d’essaimage des modes de circuits courts
La fermeture des débouchés habituels et la situation d’urgence a été l’opportunité de renforcer ou de créer des nouvelles collaborations autour des circuits courts
La plupart des témoignages relève une collaboration importante et renouvelée entre les producteurs. Pour Anne de l’ADEAR 13, ces initiatives ont mis en avant une grande solidarité entre les paysans et un véritable travail collectif. Cette période a vu se développer davantage de collaboration entre producteurs et territoires, avec par exemple des agriculteurs du nord de département qui ont mutualisé leurs efforts pour les productions à proposer ou la logistique.
Certains acteurs interrogés témoignent également du rôle important des villes dans la mise en place ou non de ces initiatives, avec des exemples de mairies qui ont été très réactives pour accompagner ce processus et notamment autoriser des lieux de retrait. Par exemple explique Anne, lorsqu’elles ont rapidement autorisé que l’espace du marché soit utilisé avec toutes les mesures de gestes barrières. D’autres collectivités ont refusé la mise en place d’un drive et des livraisons ont été organisées à la place. En l’absence de tels lieux, des collaborations avec d’autres acteurs, entreprises ou associatifs se sont également construites.
Ainsi Chloé, une productrice qui a aidé à monter l’initiative du Marché au Palier, décrit la collaboration importante qui a eu lieu entre les producteurs, qui sont à l’origine du projet, mais également l’apparition de nouveaux partenariats, qui ont permis de structurer et d’étendre l’initiative. D’un système de gestion des commandes en manuel par les producteurs, a été mis en place un système plus structuré de gestion des stocks, géré directement par un professionnel du domaine, et des livraisons assurées par les trois compagnies de coursiers impliqués. Afin de gérer les commandes de manière plus efficiente, la boutique en ligne de l’association de la Roue put être utilisée et le catalogue en ligne a été créé en un week-end. L’Olympique de Marseille a notamment rejoint l’initiative et le stade Vélodrome a servi de point de distribution pendant plusieurs semaines.
Partie de quelques producteurs, et face à son succès, l’initiative s’est progressivement structurée en impliquant de nouveaux acteurs. Grâce a l’intermédiaire de l’association de la Roue, des compagnies de coursier de la ville, notamment Mistral Coursier puis Toutenvélo se sont impliqués. Pour répondre à l’exigence de la gestion du froid, du stockage et des commandes, un autre prestataire, Agilenville, déjà compétent dans ce domaine, a également rejoint l’initiative.
Mais certaines initiatives ont été crées de manière spontanée par les consommateurs en créant une collaboration directe avec les producteurs de leur territoire. Comme en témoigne Antoine qui explique comment un groupe de particuliers à Meyrargues (13) a commencé une collaboration avec un maraîcher suite à la fermeture des marchés environnants. Afin de développer une alternative au supermarché voisin et privilégier les achats en direct auprès des producteurs, ils ont contacté un producteur pour organiser des livraisons groupées sur la place du village.
Au fur et à mesure du confinement, les habitants impliqués se sont organisés pour assurer des commandes groupées et répartir les commandes en aval, pour éviter la surcharge de travail aux producteurs et préparer les commandes individuelles sur un mode de magasin coopératif
explique Antoine.
Les expériences recueillies témoignent également du rôle important des réseaux existants, dans la mise en place rapide des adaptations et le rassemblement des acteurs
Pour l’initiative Du marché au palier, l’implication de l’association de la Roue, (Monnaie locale complémentaire et citoyenne en Provence – Alpes du Sud), a joué un rôle clef dans sa mise en place et l’implication rapide de nouveaux acteurs. Christelle, membre de l’association la Roue explique ainsi comment les différentes compagnies de coursiers à vélo ont travaillé ensemble autour de ce projet. Notamment afin de regrouper les commandes et d’organiser au mieux les volumes et les points de livraisons pour réduire les coûts et augmenter l’efficience du système. Le large réseau des producteurs du marché de la Joliette a permis notamment de proposer un catalogue de plus de 150 références aux particuliers et une grande variété de produits fermiers de la région ce qui est un atout majeur de l’initiative, souligne Chloé.
Pour Christelle, qui a géré l’initiative au sein de la Roue :
Les pros du réseau se sont rendus compte que la roue ce n’était pas qu’une monnaie, c’était aussi un réseau d’entraide. Elle facilite les liens et les échanges et permet à certains pro de se faire connaître à droit et à gauche.
Aux Paniers Marseillais, cette période a également assise une plus grande collaboration et partage d’information entre les différent Paniers de quartier. Les améliorations logistiques par la mise en place d’un drive hors du centre ville avant la redistribution dans chaque quartier témoigne de la « force du réseau » explique Agnès. Cette période a également permis selon elle de faire vivre cette communauté et de mettre à jour le fort sentiment d’appartenance qui s’y attache. D’autant plus que les Paniers Marseillais regroupent en tout près de 1400 familles et une cinquantaine de producteurs.
L’intérêt de ce réseau, rappelle-t-elle, c’est d’offrir une plus grande diversité de produits (près de 350 références produit maraîchers, frais et d’épicerie), pour fédérer les commandes et permettre à davantage de producteurs de les rejoindre.
Le réseau TRAME de magasins de producteurs a également appuyé les producteurs en diffusant des conseils et informations aux magasins pour s’adapter aux contraintes sanitaires et en organisant des commandes groupées, de gels hydro-alcooliques et de masques notamment.
Les bouleversements des débouchés ont également questionné les acteurs sur les différents modèles économiques et d’organisation du travail pour la vente en circuit court.
Cette période, qui a permis un temps d’expérimentation particulier, a également entraîné des changements dans les approches de ventes et de distribution des produits notamment pour les producteurs.
Pour Chloé,
le succès d’une initiative du Marché au palier est un exemple de modèle parmi une multitude de possibles, qui dépend de nombreux facteurs, comme la situation des producteurs et de la diversité de leurs débouchés, la localisation, la demande ou les contraintes logistiques.
Elle explique par exemple que beaucoup de producteurs qui ont participé à l’initiative étaient ceux qui étaient le plus mis en difficulté par la fermeture des marchés, par rapport à ceux qui avait déjà en place des débouchés auprès d’AMAP, de vente à la ferme ou en épicerie. Maintenant que l’on est déconfiné et que les marchés et restaurants ont repris leurs activités, explique-t-elle, il faut reprendre ses marques et se réorganiser en fonction des différents circuits de distribution possibles et cela n’est pas toujours évident. Le marché semble avoir repris avec succès, avec une demande qui demeure forte. Pour elle, il est essentiel que les gens reviennent au marché, ce contact et ces échanges avec les clients sont tellement important. D’autres producteurs ont arrêté les marchés pour essayer un autre type de distribution, testée pendant le confinement, qui sera plus adapté à leur situation.
De même, Agnès donne l’exemple de certains producteurs des Paniers Marseillais, pour qui l’écoulement de la production à travers les Paniers a été tellement intéressant (ventes assurées, gain de temps de vente) qu’ils augmentent aujourd’hui la part de leurs produits à distribuer au travers de ce système et réduisent le nombre de marchés. La gestion des stocks et les aspects comptables peuvent être laborieuses au début mais une fois mis en place, certains producteurs sont très demandeurs explique Agnès.
Anne de l’ADEAR 13 explique que pour quelques paysans, cela a été l’opportunité de développer d’autres circuits de commercialisation plus proches de chez eux et de réfléchir à une nouvelle organisation de leur travail, et n’ont donc pas repris les marchés. Comme des initiatives de vente à la ferme en direct, ou à plusieurs producteurs, ou des regroupements de livraison à domicile. Cependant, elle note que la grande majorité ont repris les marchés.
Les outils numériques coopératifs, tels que cagette.net (logiciel libre qui permet de faciliter la vente directe de produits entre producteurs et consommateurs au travers de groupements d’achat), ont été également rapidement intégrés par certains acteurs afin d’augmenter l’efficacité de la gestion des commandes, notamment les drives paysans soutenus par l’ADEAR et les particuliers qui se sont organisés dans la commune de Meyrargues.
Depuis, explique Antoine, cela a ravivé la discussion de développer sur la commune une "plateforme paysanne" et a permis de mobiliser encore davantage sur le sujet.
Si de nombreux circuits ont retrouvé leur fonctionnement habituel, certaines initiatives expérimentées pendant le confinement se pérennisent et font l’objet de discussion au sein des acteurs pour leur structuration potentielle à terme.
Dans l’épicerie Terre de Potage, la possibilité de livraisons à domicile pour les personnes ne pouvant pas se déplacer restent possibles dans la localité, avec un nouveau service de livraison à vélo avec remorque. L’épicerie paysanne ADELE a également décidé de maintenir cette option de panier de saison, en plus du retour du libre-service dans l’épicerie. Les drives soutenus par l’ADEAR par contre ont à nouveau laissé la place aux marchés. Il n’est pour l’instant pas d’actualité de les pérenniser explique Anne, à moins qu’il y ait une demande de la part des producteurs.
L’initiative Du marché au palier s’est poursuivie après la fin du confinement pour répondre à la demande encore soutenue de certains quartiers et à l’intérêt de plusieurs producteurs. La demande, demeure en effet, même si elle a diminué, alors même que le marché de la Joliette est à nouveau ouvert, et qu’il voit le nombre de ses clients augmenter par rapport à l’avant confinement. Aujourd’hui, il est donc envisagé de pérenniser l’initiative pour ces quartiers et d’identifier un point de retrait fixe pour la distribution aux particuliers. Les producteurs envisagent également de s’adresser aux professionnels de la restauration et un site pour les professionnels est en construction.
Ce qui s’est passé pendant le confinement, c’était exceptionnel, note Chloé. Le système Du marché au palier a une belle offre et la demande y est, donc il est important de continuer. Les gens ont découvert des produits et cette crise a créé un déclic face au manque de circuits courts dans certains quartiers, notamment au sud de la ville.
De même, le système de drive et de redistribution mutualisée des produits non maraîchers testé pendant le confinement par les Paniers Marseillais, va aujourd’hui être conservé tout en gardant des évènements type marchés pour permettre la rencontre avec les producteurs et les faire découvrir à de potentiels nouveaux clients. Au sein des Paniers Marseillais, la réflexion sur un système logistique viable pour les adhérents et les producteurs est très présente depuis trois ans et le système de drive mutualisé mis en place pendant la crise répond en partie à cette problématique.
L’afflux de nouveaux consommateurs vers les circuits courts s’est ralentie après le confinement, même si l’intérêt reste fort, et soulève l’importance de la sensibilisation et la fidélisation de ces nouveaux clients
Dans l’épicerie Terre de Potage, quelques mois après le déconfinement, l’activité n’est pas aussi intense, également due au fait que le marché paysan hebdomadaire a réouvert, mais de nombreux nouveaux clients ont été fidélisés et ont changé leurs habitudes et la demande reste forte selon Alexandra. Les chiffres ne sont pas au niveau du pic de consommation au cœur du confinement mais cependant supérieurs aux années précédentes. Cette tendance pourra être confirmée ou non en hiver, selon elle, lorsque le marché paysan sera fermé. De même, pour l’épicerie ADELE, où la demande a certes baissé après le déconfinement, l’intérêt des clients demeure.
« On observe de plus en plus de demandes sur les épiceries paysannes et cet épisode a renforcé la tendance note Agnès. Une raison supplémentaire de soutenir l’émergence d’épiceries paysannes en ville. »
Aux Paniers Marseillais, environ une centaine des nouvelles familles ayant acheté des paniers pendant le confinement sont devenus adhérents (sur 500 familles qui avaient acheté des paniers pendant le confinement). Mais pour Agnès, cette période très particulière a surtout été l’opportunité de toucher des personnes qui n’étaient pas nécessairement familières avec l’agriculture paysanne.
« J’ai vraiment foi dans le circuit court et je pense qu’aujourd’hui cette crise a permis aux personnes qui jusqu’à présent étaient en réflexion, de passer en mouvement. Bien sûr on va perdre des familles, mais ce shift, ce qui s’est passé là, ça n’a pas de prix. Les familles ont vécu cette expérience, ont goûté les produits, ont rencontré les producteurs. C’est un premier déclic qui peut porter ses fruits sur le moyen terme. L’enjeu pour nous aujourd’hui va être de pérenniser ces gens là. D’où l’importance de poursuivre les efforts d’information et de sensibilisation de tous les acteurs »
C’est d’ailleurs pour sensibiliser davantage que les Paniers Marseillais ont créé pendant le confinement un outil pédagogique. Développé dans l’urgence pendant le confinement, l’équipe est maintenant en train de travailler sur une version plus aboutie pour l’utiliser comme outil pédagogique à part entière dans chacune des associations adhérentes : pour expliquer l’approche d’une AMAP, de l’agriculture paysanne, de l’importance de consommer sain et local. Avec l’explosion des demandes des paniers découvertes au mois (4 paniers hebdomadaires) pendant le confinement, ces paniers vont également être généralisés. Si ces paniers ne permettent pas un engagement des familles propre au fonctionnement d’une AMAP, ils constituent un outil de sensibilisation et de découverte très important selon Agnès, et ont l’avantage d’attirer un nouveau public et de lui faire découvrir la démarche.
La question du prix a également été soulevé par plusieurs acteurs. Pour Chloé, productrice, la question est aujourd’hui de savoir si les gens sont prêts et en capacité à mettre de l’argent dans une alimentation de qualité, alors qu’on a été habitué à des prix particulièrement bas. Les professionnels selon elle sont donc amenés à s’adapter et se positionner pour se rendre accessibles et attractifs. La sensibilisation des consommateurs et la représentation mentale du prix d’un produit est un enjeu important, ajoute Christelle, pour les circuits qui visent à proposer des produits de qualité et à garantir une rémunération juste pour les producteurs.
La résilience de ces circuits en question : pistes de réflexion pour poursuivre leur consolidation.
Il ressort de ces témoignages, bien qu’ils ne représentent que l’expérience des structures concernées et ne peuvent constituer une généralité, que ces circuits ont traversé une période particulièrement riche. Cette crise a mis en lumière l’intérêt fort des consommateurs pour ces circuits et la grande capacité d’adaptation de ses acteurs. Les mois qui suivront permettront d’observer la tendance à moyen terme et d’établir si cette période a été un réel accélérateur pour les circuits courts et leur essaimage à travers le territoire.
Ces retours d’expérience soulèvent également des contraintes communes. La surcharge de travail et la pression exercée sur les producteurs et tous les acteurs interrogés met en lumière l’enjeu important des ressources humaines dans ces circuits. Le métier d’agriculteur se pose dans ces exemples de façon de plus en plus complexe avec un l’arbitrage nécessaire entre le temps consacré à la production et celui consacré à la vente ou à la distribution. La dépendance de certaines structures à des forces bénévoles est également importante dans ces exemples. Tous témoignent d’une mise en tension importante de l’offre, partiellement compensée par la réduction des produits dont les débouchés ont été fermés. Ces observations posent la question de la connexion entre les différents débouchés et territoires mais aussi de la quantité suffisante d’une production locale et de qualité, sous-tendus par les questions d’artificialisation des terres agricoles et de la transmission des exploitations. L’importance des défis logistiques soulevés par les acteurs interrogés pose également la question de la dépendance de ces circuits au pétrole et des enjeux de diminution des gaz à effet de serre.
Ces expériences font également écho à la question de la résilience des systèmes alimentaires, qui peut se définir comme la capacité d’un système alimentaire et de ses éléments constitutifs à garantir la sécurité alimentaire au cours du temps, malgré des perturbations variées et non prévues[1]. L’association des Greniers d’Abondance identifie différents critères de résilience appliquée aux systèmes alimentaires notamment : 1) La diversité (des productions, des variétés, des acteurs et de leurs interactions) pour permettre une plus grande adaptabilité lorsque le contexte évolue ; 2) l’autonomie du territoire, soit le fait de disposer localement des facteurs de production et de commercialisation pour subvenir aux besoins de base de ses habitants ; 3) la modularité et la connectivité du système fonctionnant par unités relativement autonomes mais pouvant se soutenir mutuellement ; 4) la redondance ou le fait qu’une même fonction soit assurée par plusieurs éléments du système ; et 5) la cohésion des acteurs qui facilite la solidarité, l’implication collective, les prises de décision, la flexibilité des interactions, le développement d’alternatives et l’évolution du système.
La force mobilisatrice des circuits interrogés, la capacité d’adaptation et la diversité des initiatives lancées, la diversité des productions, la réactivité et l’inventivité des projets, l‘ancrage local, la cohésion et la solidarité entre différents maillons de la chaîne et l’apparition de nouvelles collaborations et acteurs, sont autant d’éléments qui s’inscrivent dans les caractéristiques de résilience et renforcent l’importance de développer encore davantage les circuits courts pour renforcer nos systèmes alimentaires.
Les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT), en tant qu’outil de planification, de connaissance et de mise en réseau, offrent une opportunité majeure aux territoires, s’ils sont accompagnés d’une réelle volonté politique, de transformer en profondeur nos systèmes alimentaires et agricoles pour permettre une alimentation équitable, naturelle et territoriale pour tous. Le PAT des Bouches-du-Rhone, co-piloté par la Métropole Aix-Marseille-Provence et le Pays d'Arles est ainsi en cours développement.
[1] Les Greniers d’abondance « Vers la résilience alimentaire. Faire face aux menaces globales à l'échelle des territoires », février 2020
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