Après plus d’un mois de confinement et de perturbation, la plupart des chaînes alimentaires tiennent bon. Si les pénuries temporaires sur certains produits n’étonnent plus, la hausse des prix alimentaires est un motif d’inquiétude chez les consommateurs. Les difficultés économiques présentes ou à venir se font d’ailleurs de plus en plus sentir, aussi bien chez les producteurs que chez les artisans et commerçants alimentaires. Les circuits continuent malgré tout de se réorganiser, tantôt à la faveur d’initiatives d’entraides, tantôt au contraire en générant des tensions.
Après les rayons vides, la question des prix
Les remontées concernant les ruptures d’approvisionnement dans les points de vente continuent :
Manque de farine dans deux supermarchés. J’ai voulu faire mon pain. Est-ce la même chose pour les autres, qui explique cette pénurie ?
Consommateur, Ile-de-France, 9 avril
Plus aucun produit acheté sur des MIN n'est disponible (pas de bananes, d'oranges, de tomates, de courgettes, de concombre...), pas de produits boulangers.
Consommatrice à propos d’un marché de centre ville, Occitanie, 9 avril
Certains rayons sont vides depuis des semaines : farine, levure, les fruits et légumes locaux et français sont devenus rares.
Consommatrice, Occitanie, 16 avril
Ces pénuries ponctuelles ou chroniques qui s’installent dans le temps participent à la montée des discours sur la vulnérabilité des chaînes logistiques et sur l’autonomie alimentaire de la France (Ouest France, 21 avril). La politisation de la question alimentaire se poursuit en conséquence (voir Le retour de la politique).
Suite aux problèmes de volumes, nous commençons à observer quelques retours relatifs à l’évolution des prix :
“J'avais personnellement l'espoir que si le marché me permettait d'éviter le plus possible d'aller au supermarché, je l'aurais vraiment privilégié, mais le manque de variété d'offre dans les produits frais (pas le coût, il a augmenté, mais comme partout) [...] m'oblige quand même à braver les allées du supermarché une fois par semaine.” (consommatrice, Occitanie, 9 avril)
“L'épicerie bio dans laquelle je me rends environ une fois par semaine dans le centre de Rennes a vu dernièrement ses prix augmenter. Les propriétaires, dont les produits sont bio, éthiques et souvent locaux, avouent rencontrer de plus en plus de difficultés pour s'approvisionner en quantité aux prix habituels. Ils s'inquiètent notamment d'une baisse des capacités d'approvisionnement des fournisseurs en France mais indiquent aussi que la situation pour les produits provenant d'Espagne par exemple (notamment des fruits) est d'autant plus critique.” (consommatrice, Bretagne, 17 avril)
Cette tendance à l’augmentation des prix sur certains produits alimentaires devrait se poursuivre selon les industriels de l’agroalimentaire qui affirment voir leurs coûts de production augmenter de 3 à 16% et leur chiffre d’affaires diminuer, parfois très fortement (Baromètre de l’ANIA, 17 avril). L’augmentation des prix en rayons contraste avec les difficultés économiques rencontrées par de nombreux agriculteurs dont les productions se vendent à prix bas (voir la rubrique 6 sur la situation des agriculteurs).
Difficultés et réactions des artisans et intermédiaires locaux
Plusieurs retours ou articles de presse apportent un éclairage sur la situation difficile dans laquelle se trouvent nombre d’artisans commerçants de produits alimentaires :
“De nombreuses épiceries de proximité de la ville ont fermé. Par mesure de précaution, le petit supermarché Sitis, une épicerie qui écoulait des produits frais à bas prix a subi une fermeture de la préfecture pour hygiène.”
(consommateur, Ile-de-France, 11 avril)
“Ils ont entre 50 et 80% de pertes chaque jour. On estime que 20% d'entre eux sont en très grande difficulté. Ils risquent de mettre la clé sous la porte."
(le président de la fédération des boulangers du Cantal, à propos des artisans boulangers, France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, 15 avril)
Les livraisons et les plateformes numériques de commande se multiplient pour maintenir les débouchés tandis que d’autres types de ventes génératrices de revenus voient le jour :
“Jusqu’à présent la boulangerie ne vendait ni farine ni levure, désormais face à la demande elle affiche sur une ardoise bien visible à l’entrée qu’elle vend de la farine (3€/kg) et de la levure (1€ les 50g).” (consommateur, Ile-de-France, 11 avril)
“Mise en place d'un site web en une semaine par l'équipe Cacao Barry pour apporter du soutien aux chocolatiers et pâtissiers juste avant les fêtes de Pâques. [...] Les artisans se connectent à cette plateforme en ligne et peuvent renseigner les informations concernant leur boutique ainsi que les services qu'ils ont mis en place dans le cadre du confinement : livraison à domicile, carte cadeau, à emporter, etc.” (consommatrice, Ile-de-France, 17 avril)
“Les principaux commerçants du marché (fromager, maraîcher bio, primeur, boulanger) ont proposé de faire de la livraison à domicile (minimum de commande). Affiche placardée dans la commune.” (consommateur, Ile-de-France, 18 avril)
La crise est pour certains l’occasion de rappeler l’importance sociale de ces commerces de proximité :
“Nous nous sommes posés la question (pas très longtemps) si nous restions ouverts mais il allait de soi que l'épicerie était "utile" à maintenir. C'est typiquement ce genre de lieux qui sont pour nous indispensables en temps de crise comme celle là. Pour plusieurs raisons : 1/ En tant "qu'indicateur de santé mentale" du village : depuis 9 mois, nous avons développé une relation de confiance et d'interconnaissance avec les habitants et dans ce contexte anxiogène, ils aiment à venir chez nous pour faire leurs courses tranquillement, avoir quelqu’un à l'écoute, pouvoir se confier si besoin, croiser d'autres habitants et prendre des nouvelles, rester dans la vie active du village.” (commerçant à propos d’une épicerie récemment ouverte dans un village de 500 habitants, Bretagne, 18 avril)
Réorganisation des filières entre coopération
et tensions
La relocalisation des filières d’approvisionnement et de distribution se poursuit et favorise de nouveaux partenariats entre commerces et producteurs :
“La Biocoop a fait un partenariat avec un producteur de plants local afin que les consommateurs puissent acheter leurs plants directement en même temps que leurs courses. Au menu : plusieurs variétés de tomates, des fraises et des plantes aromatiques.” (consommateur, PACA, 14 avril)
“Je connais une dame qui travaille dans ce magasin, je lui ai parlé de ma difficulté à écouler mes oeufs comme les marchés sont fermés, elle en a discuté avec son chef et le magasin a choisi de travailler avec moi. Je leur vends mes oeufs au même prix que celui que je pratique en vente directe.” (une agricultrice, France 3 Nouvelle Aquitaine, 17 avril)
Toutefois, certaines filières sont marquées par des difficultés croissantes chez les producteurs, parfois en conflit avec les industriels en aval. C’est le cas pour la filière viande bovine, où les éleveurs menacent de ne plus envoyer leurs bêtes aux abattoirs face à la diminution des prix d’achat alors que les ventes en grandes surfaces restent bonnes (Ouest France, 21 avril). La filière lait est toujours confrontée à une surproduction. Les labels de qualité et les petites laiteries sont les premières à souffrir de la crise (Réussir, 20 avril), tandis que certaines marques de grande consommation voient leurs ventes progresser (La France Agricole, 21 avril).
Les entreprises de l’agroalimentaire parviennent à contenir les problèmes liés au manque de personnel ou à l’absence de masques de protection, mais les commandes ont continué à diminuer ces deux dernières semaines et un tiers rencontre toujours des difficultés pour s’approvisionner en emballages ou en matières premières agricoles (Baromètre de l’ANIA, 17 avril). La question des emballages est également mise en lumière du fait de l’usage important du plastique en cette période pour conditionner les produits. Les représentants de la filière en Europe et aux Etats-Unis ont d’ailleurs cherché à faire valoir auprès des décideurs les qualités hygiéniques du plastique et à faire retirer certaines mesures antérieures visant à en réduire l’usage (Le Monde, 12 avril).
Enfin, les stratégies déployées par certains acteurs de la distribution pour écouler leurs produits ne sont pas toujours bien accueillies. La mise en place d’une plateforme de livraison aux particuliers par Rungis a par exemple suscité la colère des autres grossistes et commerçants, redoutant une concurrence déloyale (Réussir, 7 avril).
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