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- Bulletin de partage 3 - Les Solidarités face la détresse alimentaire des plus pauvres
Alors que la solidarité alimentaire est devenue une urgence pour les plus pauvres, les actions de solidarité ne cessent de se multiplier et l’on perçoit l’importance de la proximité et de la structuration des partenariats pour le développement de solidarités. La pauvreté, facteur d’aggravation de la détresse alimentaire La détresse alimentaire des plus démunis, des plus pauvres, s’exprime cette quinzaine avec acuité : une confirmation du fait que les inégalités sociales se creusent en période de crise. En France, la presse s’en fait l’écho : “Les quartiers populaires entament leur deuxième mois de confinement à bout de souffle, mais encore soutenus par un faisceau de solidarités inédites, réinventées dans l’urgence” titre Le Monde (18 avril 2020) ; “Il y a urgence, les gens ont faim. Avec le confinement, le nombre de personnes dans le besoin explose dans le 93” scande Le Parisien (17 avril 2020) ; “Les personnes en situation de précarité basculent dans la pauvreté” (Ouest France, 24 avril 2020). Cette précarité parfois préexistante est renforcée par la perte d’emploi occasionnée par la crise. Ainsi, la disparition des petits boulots du fait de la crise renforce les inégalités sociales, notamment entre les étudiants : “Je suis intérimaire et là je n'ai plus de missions, je fais avec le peu que j'ai… 60 à 70% en moins dans le portefeuille”. Parmi les doléances recueillies auprès des étudiants, on peut trouver : « urgent, plus rien à manger »; (AFP agence, 16 avril 2020). A l’étranger, l’injustice alimentaire se fait également criante. En Colombie, elle est révélée par des “chiffons rouges” accrochés aux fenêtres qui expriment l’appel au secours et la protestation de “nombre de Colombiens des quartiers pauvres [qui] souffrent des conséquences immédiates de l’absence de travail : le manque de nourriture” : à Itaguï par exemple, “La majorité des familles ici a faim, ce sont des gens qui vivent au jour le jour, des vendeurs ambulants, des mères de famille qui travaillent comme employées de maison. Certaines de ces familles n’ont pas mangé depuis deux jours et nous essayons tous de nous entraider, mais tous les portefeuilles sont vides” (Courrier international, 18 avril 2020). Au Royaume-Uni, la détresse alimentaire est aussi palpable. The Guardians exhorte le gouvernement à aider les « 1,5 million de personnes [qui] passent toute la journée sans nourriture », causé par à la fois par la crise sanitaire et la politique d’austérité (11 avril 2020). Le même problème explose aux Etats Unis : “Alors que des millions d'Américains ont perdu leur emploi depuis le début de l'épidémie de coronavirus, des populations de plus en plus pauvres peinent à survivre” (Huffingtonpost, 11 avril 2020). Pour tenter de faire face à cette détresse alimentaire, plusieurs types d’actions sont mises en place : En France, l’Etat vient de renforcer son plan d’aide en débloquant 39 millions d’euros supplémentaires au bénéfice de personnes et familles en situation de précarité, notamment alimentaire ( lien, 23 avril 2020). Les communes et intercommunalités sont aussi à la manœuvre. La Métropole Aix-Marseille-Provence met en œuvre “un ensemble de mesures significatives pour venir en aide aux habitants les plus fragiles et les plus exposés à la crise actuelle mobilisant plus de 800 000 euros.” (Communiqué de presse de la Métropole Aix Marseille Provence, 14 avr. 2020) et “La ville de Marseille a décidé de rouvrir sa cuisine centrale pour pouvoir fournir des repas aux plus démunis, touchés de plein fouet par l'épidémie de coronavirus” (5.000 repas par jour) (Figaro Economie, 16 avril.2020). D’autres organismes publics interviennent. Les étudiants en détresse alimentaire et sociale peuvent ainsi bénéficier de certains soutiens institutionnels. Par exemple, à Bordeaux, le CROUS annonce avoir alloué depuis le confinement “70.000 euros d'aides sur évaluation sociale (…) à 500 étudiants, auxquels s'ajoutent 60.000 euros en bons d'achat, en cours de distribution et des portages de colis alimentaires en lien avec la ville de Bordeaux et la Banque alimentaire”. De son côté, l’Université de Bordeaux se serait “également adaptée avec des coups de pouce financiers pour s'alimenter ou “réduire la fracture numérique” et en mobilisant les permanences téléphoniques de suivi médical et psychologique (Espace santé étudiants). (AFP agence, 16 avril 2020). Les ONG y travaillent aussi : « Pour Eux Lille », mouvement de solidarité citoyen qui recrée du lien social avec les personnes qui vivent dehors (SDF ou exilé.e.s.), propose “Quand on cuisine, de préparer un panier repas en plus et de l'inscrire sur sa plateforme bit.ly/CommandesPourEuxLille ; un livreur citoyen viendra le chercher au domicile en vélo et le donnera jour même aux personnes qui en ont besoin” (Facebook du groupe « Pour Eux Lille », 10 avril). D’autres organisations réutilisent les denrées invendues de la restauration et/ou de la grande distribution pour les redistribuer. C’est le cas d’Entraides Citoyennes qui mentionne qu’en ce moment ils ont “plutôt plus de dons que d'habitude” (75018 Paris, 18 avril) ou de l’Association MJF-Jane Pannier, qui accueille des jeunes filles, des femmes seules ou avec enfants, des personnes isolées et des familles en demande d’asile, qui reçoit «”de plus en plus de produits alimentaires par l'intermédiaire de chaînes de solidarité qui se sont fortement développées sur Marseille” (Association MJF-Jane Pannier, Marseille, 14 avril). A l’étranger, des initiatives équivalentes sont développées. Selon Nourish Scotland (Company Limited by Guarantee and Charity Registered in Scotland), les gouvernements du Royaume-Uni et d'Écosse ont versé “d'importantes sommes d'argent” au profit des banques alimentaires et des réseaux collectifs de distribution alimentaire (Nourish Scotland). Aux États-Unis, les banques alimentaires sont assaillies et tentent de répondre : “Jeudi 9 avril, ce sont plus de 10.000 familles des environs qui ont eu recours aux services de l’organisme pour faire face au week-end de Pâques. Un bien triste record dans l’histoire de la banque alimentaire” (Huffingtonpost, 11 avril). Les initiatives en faveur de la justice alimentaire peuvent également être le fait de citoyens. En France, pour les étudiants en détresse alimentaire, le collectif citoyen “Solidarité-Continuité alimentaire Bordeaux” “monté dans l'urgence” a mis en place une cagnotte Leetchi, ce qui a permis d’acheter des denrées alimentaires et sanitaires, de préparer des colis (“À l'intérieur: conserves et gel douche - préalablement nettoyés à la lingette -, féculents, café, papier WC, lessive mais aussi serviettes menstruelles et 5 copies d'autorisation de déplacement, «pour ne pas se mettre en danger». Pas de périssable, «compliqué», ni de gel hydroalcoolique, “trop rare!”), livrés “au pied de l'immeuble, un étudiant à la fois” (AFP agence, 16 avril). A l’étranger, selon Nourish Scotland, les citoyens du Royaume-Uni ne sont pas en reste : en réponse à la détresse alimentaires des populations les plus démunies, “nous avons vu une mobilisation citoyenne impressionnante (…). Des milliers de personnes se sont inscrites pour faire du bénévolat, des voisins interviennent pour se soutenir mutuellement et de généreux dons ont été faits à des organismes de bienfaisance qui s'occupent des personnes les plus vulnérables de notre société” (Nourish Scotland). La proximité, moteur de solidarité La proximité se révèle un véritable moteur de solidarité. L’existence d’une petite communauté, formée autour d’un village, rend parfois plus facile le recensement des difficultés : “en moins d'une semaine, après le confinement, toutes les personnes fragiles ou âgées du village avaient été contactées pour leurs besoins spécifiques. Bienheureusement, tous avaient du soutien de la famille, ou de voisins” (69650 Saint Germain du Mont Dore, 17 avril) ; “Le fait d'être deux, dans ce même petit village, à avoir le même type d'alimentation, et donc les mêmes habitudes pour faire ses courses (magasin bio) surtout quand il s'agit de l'alimentation, m'a soutenu pendant le confinement” (consommatrice 76610 17 avril). Le "voisinage" est ainsi propice à la solidarité. Il permet des échanges et troc de denrées alimentaires, “des oeufs contre du pain de mie maison” (participant à "incroyables comestibles" 35730 17 avril). Certains préfèrent partager, tels ces 4 voisins qui font des “courses partagées une fois par semaine le pain pour tout le monde » et des « commandes en commun aux producteurs régionaux” (habitant 31270 17 avril) ou à des restaurants qui livrent : “ça arrange les producteurs et les consommateurs” (Montpellier, 17 avril). Le quartier est aussi un lieu de développement de solidarité, par exemple pour constituer des achats groupés en circuit court : “depuis maintenant 2 semaines, nous avons mis en place un groupe "WhatsApp" des habitants de la rue pour que chaque habitant puisse proposer des achats groupés en circuit court en solidarité avec les producteurs et en solidarité avec les habitants les plus âgés ou les plus faibles de la rue” (9 avril, Rennes). Enfin, le commerce alimentaire de proximité, parfois maltraité par la concurrence des grandes surfaces, peut reprendre de la vigueur et jouer son rôle de soutien pour la population locale qui redécouvre ses vertus. Est ainsi mentionné le cas d’un petit commerce de proximité spécialisé en primeur fruits et légumes “qui était en grande difficulté financière depuis l’ouverture d’une GMS en centre ville”. Or “aujourd'hui il bosse beaucoup” et dit : “c'est dommage d'en arriver à ça (covid) pour enfin travailler” (consommateur 05100 7 17 avril). Coordination des actions de solidarité : des partenariats historiques mais pas seulement... Forts de leurs habitudes de collaboration d’avant la crise sanitaire, certains réseaux réussissent à proposer de nouvelles actions coordonnées : “grâce à la coordination des (13) associations d'aide alimentaire avec le CCAS et les services de la ville, a été très rapidement mis en place une aide financière aux familles qui bénéficiaient à la cantine, de la gratuité ou du tarif de la tranche la plus basse” (Chargée de mission alimentation Brest Métropole, 14 avril). C’est le cas aussi du réseau Cocagne qui organise, le plus souvent avec des partenaires habituels, la “distributions de paniers solidaires exceptionnels à destination de personnes en situation de précarité, relayées principalement par les CCAS, mais aussi des associations comme RESF, la livraisons de fruits et légumes frais pour les distributions d’aide alimentaire qui en manquaient cruellement, (…) avec les partenaires historiques tels que le Secours Catholique ou le Secours Populaire” (Réseau Cocagne, 17 avril) Plus généralement, à propos des AMAP et des groupements d’achat, il semble que “ces réseaux [déjà] interconnectés, ont une grande capacité de réaction en situations tendues ou de difficultés” (30000 Nîmes, 17 avril). Ces liens antérieurs à la crise n’empêchent pas de nouvelles collaborations et l’élargissement des réseaux de solidarité. Le réseau Cocagne a développé de nouveaux partenariats pour la livraison de fruits et légumes frais “avec les banques alimentaires directement », a réalisé « des appels aux dons de produits non périssables auprès des réseaux d’adhérents pour fournir une antenne Caritas ayant des difficultés d’approvisionnement” et a accéléré “des partenariats avec d’autres producteurs” (Réseau Cocagne, 8 avril). Les AMAP sont aussi le lieu de nouvelles solidarités lorsqu’elles organisent de nouveaux partenariats avec “différents autres producteurs non habituels, qui, compte tenu des circonstances cherchaient des débouchés” (paysan boulanger, éleveur de Camargue, pisciculteur des Cévennes) (30000 Nîmes, 17 avril). De façon plus ponctuelle, on a pu voir des organisations de solidarité spontanée, à l’image de la collaboration de bars et restaurants obligés de fermer, pour mettre en place un marché anti-gaspillage dans l'un des établissements avant fermeture (réseaux sociaux Rennes, 16 mars) ou l’alliance intelligente des forces entre une association, une commune et un particulier à l’occasion de distribution de paniers : la commune a prêté les locaux et assuré la sécurité, les bénévoles de "Voisins de paniers" ont assuré la distribution avec des masques confectionnés et offerts par une couturière (Saint Brieuc, 27 mars). Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°3 Article précédent : Des circuits courts toujours attractifs mais des interrogations pour la suite | Article suivant : Le retour de la politique
- Bulletin de partage 3 - Le retour de la politique
Les mangeurs et les acteurs de l’alimentation ont d’abord posé des questions de politique locale, focalisées sur des questions immédiates : où m’approvisionner, comment assurer la sécurité au marché, comment permettre l’alimentation des ménages à bas revenus ? Ils abordent désormais des questions plus larges et englobantes, en exprimant leurs visions de l’avenir. L’accumulation de plateformes d’information et la construction de nouveaux réseaux Nous enregistrons, confirmation de la période précédente, un nombre important de retours qui signalent l’accumulation de plateformes pour que les ménages trouvent des fournisseurs de proximité : ainsi, dans un département d’Occitanie (9 avril) “nous constatons aujourd'hui que sur un même territoire, plusieurs cartographies ou recensement sont proposés, sans aucune mise en relation et coordination”. Elles sont pour la plupart participatives dans la mesure où elles invitent les concernés (producteurs, artisans, transformateurs,...) à se signaler. Certains se réjouissent de la multiplication des sources d’information, d’autres déplorent un gaspillage d’énergie, le manque de lisibilité et la multiplication des tâches pour des producteurs déjà sur-sollicités. Les différents niveaux de collectivités peuvent générer un empilement où, selon les plus petites qui ont été très réactives, les “grosses” tentent de s’imposer à l’existant en faisant valoir leur capacité d’harmonisation et de coordination. Selon le même contributeur “en cette période de crise, les acteurs du monde agricole ont raté l'opportunité de travailler ensemble au service d'un même objectif : soutenir les agriculteurs et aider les consommateurs à consommer local.” Pourtant, selon un habitant de Rhône Alpes (14 avril), la crise a rapproché société civile et collectivités “en quelques semaines nous avons pu observer des initiatives, non soutenues par les collectivités ou institutions, [prendre corps alors qu’elles] piétinaient depuis des mois pour ne pas dire des années.” Pendant ce temps, les rapprochements inédits entre producteurs à l’échelle locale se poursuivent, facilités par les outils de repérage “les producteurs locaux s'associent entre eux pour vendre leurs produits dans différentes fermes. Ils ont tellement de sollicitations qu'ils sont obligés de refuser des clients!” consommatrice d’Auvergne (20 avril). L’expression de visions politiques de la situation et de l’avenir La tendance nouvelle que nous voyons émerger relève du retour du débat politique sur le thème de l’alimentation. Les remontées que nous avions eu jusqu’à présent concernaient principalement 2 thèmes : - La solution de problèmes pratiques par les mairies : lieu de dépôts de paniers à trouver, secours alimentaire pour les familles à bas revenu, organisation sanitaire des marchés,... ; - La question des marchés, marquée par les interactions entre les mairies et l'Etat (central ou déconcentré). Nous notons dorénavant un retour d’actions et de réflexions politiques qui dépassent les considérations pratiques de court terme. Elles émanent de tous types d’acteurs et de tous niveaux géographiques : - en Bretagne, on nous signale le 14 avril que “un collectif [dans une commune] a créé un réseau d'intelligence collective pour permettre de consommer local et bio, s'entraider pour les commandes et réceptions des commandes, réfléchir et débattre de façon collective pour trouver des réponses/propositions face aux problèmes découlant du covid et autre (qui pourraient venir d'une catastrophe climatique)”. A Lyon, une grande diversité d’acteurs locaux a lancé un “appel : Nourrir Lyon, autrement, localement, solidairement” ; - dans le Grand Est, un citoyen a pris l'initiative (le 13 avril) d’interpeller les élus : “j'ai proposé mon aide au maire, président de la métropole pour mettre en place un PAT…”. Ce message met en évidence la recherche progressive d’organisation pour l’après-crise, que l’outil Projet Alimentaire Territorial pourrait faciliter. Ainsi, un message posté sur LinkedIn autour du 12 avril avec la question “est-ce que les territoires qui ont engagé un PAT depuis quelques années sont effectivement plus résilients face à la crise du COVID actuelle ?” continue une semaine plus tard à susciter de nombreuses réactions, que l’on peut résumer par “on pense que oui, mais on n’a pas de preuves, et il serait utile de chercher” ; - à l’échelle nationale, des manifestes, interpellations ou adresses appellent à une réflexion sur l’après-crise, souvent pour proposer une réorganisation en profondeur du système alimentaire fondée sur la proximité. Le magazine “le 1” a publié dans son édition du 18 avril une tribune “assurer la sécurité alimentaire des populations”, cosignée par des experts, des paysans, des militants associatifs, des représentants du monde de la culture, des cuisiniers de renom. Seize membre de l’Académie d’Agriculture ont diffusé le 10 avril l’appel “pandémie du coronavirus et autonomie alimentaire : actualité et nécessité d’une re-territorialisation des systèmes alimentaires”. Les syndicats agricoles, unanimes à défendre l’ouverture des marchés, affichent des positions divergentes sur les conséquences à tirer de la crise. Dans un article intitulé “la pandémie de coronavirus ravive le débat sur l’autonomie alimentaire de la France”, le quotidien Ouest France détaille les divergences : “Bernard Lannes, président de la Coordination rurale [...] dénonce un modèle consistant à exporter des céréales à bas prix dans le monde entier et se dire pour le reste qu'on trouvera toujours de tout dans les marchés mondiaux”, alors que la Confédération Paysanne estime “qu'il y a eu une volonté des grandes filières céréales, lait et viande d’accéder aux marchés mondialisés. On en oublie quelque part la réponse au marché intérieur”. La FNSEA, quant à elle, affirme que “l’agriculture française démontre qu’elle est en capacité de tenir la chaîne alimentaire et satisfaire les besoins des Français [...] Il faut certes [...] relocaliser les filières fruits et légumes tuées par la tyrannie des prix bas, mais ne pas renoncer à exporter des semences, des animaux reproducteurs, du fromage, du vin” ; - à l’échelle internationale IPES-Food (panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables) a publié un communiqué, daté d’avril, “COVID-19 and the crisis in food systems: Symptoms, causes, and potential solutions” (annoncé comme devant être traduit sous peu en français), alors que la FAO diffusait le 9 avril une note sur le rôle des collectivités locales “urban food systems and COVID-19: The role of cities and local governments in responding to the emergency”. Son comité d’experts de haut-niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition explique dans son rapport “impact of COVID-19 on Food Security and Nutrition” que les effets de la crise se feront sentir à long terme. Dans ce contexte de politisation, certains consommateurs estiment que les circuits courts font l’objet de traitements discriminatoires par rapport aux formes classiques de distribution, à l’échelle locale à propos de la non-réouverture d’un marché “c'est un choix politique. C'est une mise à l'écart des circuits courts” (Centre-Val de Loire, 18 avril), ou à l’échelle nationale “la politique nationale semble mieux soutenir les GMS qui confinent autant de monde voire plus qu’en marché plein vent, avec plus de contacts sur les mains (on prend, on repose)” (Occitanie, 10 avril). Les frottements entre niveaux de décision Une question largement débattue sur les réseaux sociaux, alors qu’elle génère peu de remontées sur le formulaire d'enquête, porte sur les relations entre l’Etat et les collectivités, particulièrement les communes, qui ont acquis un rôle de poids (cf. bulletin de partage 2). L’appel par le ministre de l’agriculture à la réouverture des marchés, le 19 avril, sous réserve du respect des mesures sanitaires, a heurté des maires qui s’étaient mobilisés pour garder leur marché ouvert ou le ré-ouvrir. Les collectivités ont pu pointer un manque de cohérence de l’Etat. Dans une conversation téléphonique le 14 avril, une chargée de mission de collectivité met en évidence la différence de traitement entre départements voisins, liée au choix du préfet. Un maire ayant affaire à un préfet “compréhensif” déclare pourtant le 13 avril sur un réseau social “pour une fois qu'un gouvernement laisse un peu de liberté aux maires en accord avec le préfet, je ne vais pas me plaindre. Qui plus est quand cela permet au final un bon équilibre entre l'économie des producteurs en circuit court et la gestion d'une crise sanitaire”. Eléments de contexte juridique : que dit la loi ? Eclairage de Luc Bodiguel, directeur de recherche au CNRS Comme l’a rappelé le Conseil d’Etat (jurisprudence constante), la liberté des maires doit s’exprimer dans le cadre de la loi: dès lors qu’a été institué un pouvoir de police spécial au bénéfice de l’Etat en raison de la crise sanitaire (loi du 23 mars 2020), le maire ne peut prendre aucune mesure destinée à lutter contre la catastrophe sanitaire au titre de son pouvoir de police générale « à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ». Hors de cette dérogation rarement admise, il ne peut prendre que des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat. Ainsi, ne pouvant justifier de spécificités locales et l’Etat ayant décidé de ne pas exiger le port de masques, le maire de Sceaux ne pouvait subordonner « les déplacements dans l’espace public de la commune des personnes âgées de plus de soixante-dix ans au port d’un dispositif de protection buccal et nasal » (CE, 17 avril 2020, Commune de Sceaux). Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°3 Article précédent : Les solidarités face à la détresse alimentaire des plus pauvres | Article suivant : Crise et solutions à partager, pour maintenant et pour l'après
- Bulletin de partage 3 - Les chaînes alimentaires tiennent, avec réajustements et interrogations
Après plus d’un mois de confinement et de perturbation, la plupart des chaînes alimentaires tiennent bon. Si les pénuries temporaires sur certains produits n’étonnent plus, la hausse des prix alimentaires est un motif d’inquiétude chez les consommateurs. Les difficultés économiques présentes ou à venir se font d’ailleurs de plus en plus sentir, aussi bien chez les producteurs que chez les artisans et commerçants alimentaires. Les circuits continuent malgré tout de se réorganiser, tantôt à la faveur d’initiatives d’entraides, tantôt au contraire en générant des tensions. Après les rayons vides, la question des prix Les remontées concernant les ruptures d’approvisionnement dans les points de vente continuent : Manque de farine dans deux supermarchés. J’ai voulu faire mon pain. Est-ce la même chose pour les autres, qui explique cette pénurie ? Consommateur, Ile-de-France, 9 avril Plus aucun produit acheté sur des MIN n'est disponible (pas de bananes, d'oranges, de tomates, de courgettes, de concombre...), pas de produits boulangers. Consommatrice à propos d’un marché de centre ville, Occitanie, 9 avril Certains rayons sont vides depuis des semaines : farine, levure, les fruits et légumes locaux et français sont devenus rares. Consommatrice, Occitanie, 16 avril Ces pénuries ponctuelles ou chroniques qui s’installent dans le temps participent à la montée des discours sur la vulnérabilité des chaînes logistiques et sur l’autonomie alimentaire de la France (Ouest France, 21 avril). La politisation de la question alimentaire se poursuit en conséquence (voir Le retour de la politique). Suite aux problèmes de volumes, nous commençons à observer quelques retours relatifs à l’évolution des prix : “J'avais personnellement l'espoir que si le marché me permettait d'éviter le plus possible d'aller au supermarché, je l'aurais vraiment privilégié, mais le manque de variété d'offre dans les produits frais (pas le coût, il a augmenté, mais comme partout) [...] m'oblige quand même à braver les allées du supermarché une fois par semaine.” (consommatrice, Occitanie, 9 avril) “L'épicerie bio dans laquelle je me rends environ une fois par semaine dans le centre de Rennes a vu dernièrement ses prix augmenter. Les propriétaires, dont les produits sont bio, éthiques et souvent locaux, avouent rencontrer de plus en plus de difficultés pour s'approvisionner en quantité aux prix habituels. Ils s'inquiètent notamment d'une baisse des capacités d'approvisionnement des fournisseurs en France mais indiquent aussi que la situation pour les produits provenant d'Espagne par exemple (notamment des fruits) est d'autant plus critique.” (consommatrice, Bretagne, 17 avril) Cette tendance à l’augmentation des prix sur certains produits alimentaires devrait se poursuivre selon les industriels de l’agroalimentaire qui affirment voir leurs coûts de production augmenter de 3 à 16% et leur chiffre d’affaires diminuer, parfois très fortement (Baromètre de l’ANIA, 17 avril). L’augmentation des prix en rayons contraste avec les difficultés économiques rencontrées par de nombreux agriculteurs dont les productions se vendent à prix bas (voir la rubrique 6 sur la situation des agriculteurs). Difficultés et réactions des artisans et intermédiaires locaux Plusieurs retours ou articles de presse apportent un éclairage sur la situation difficile dans laquelle se trouvent nombre d’artisans commerçants de produits alimentaires : “De nombreuses épiceries de proximité de la ville ont fermé. Par mesure de précaution, le petit supermarché Sitis, une épicerie qui écoulait des produits frais à bas prix a subi une fermeture de la préfecture pour hygiène.” (consommateur, Ile-de-France, 11 avril) “Ils ont entre 50 et 80% de pertes chaque jour. On estime que 20% d'entre eux sont en très grande difficulté. Ils risquent de mettre la clé sous la porte." (le président de la fédération des boulangers du Cantal, à propos des artisans boulangers, France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, 15 avril) Les livraisons et les plateformes numériques de commande se multiplient pour maintenir les débouchés tandis que d’autres types de ventes génératrices de revenus voient le jour : “Jusqu’à présent la boulangerie ne vendait ni farine ni levure, désormais face à la demande elle affiche sur une ardoise bien visible à l’entrée qu’elle vend de la farine (3€/kg) et de la levure (1€ les 50g).” (consommateur, Ile-de-France, 11 avril) “Mise en place d'un site web en une semaine par l'équipe Cacao Barry pour apporter du soutien aux chocolatiers et pâtissiers juste avant les fêtes de Pâques. [...] Les artisans se connectent à cette plateforme en ligne et peuvent renseigner les informations concernant leur boutique ainsi que les services qu'ils ont mis en place dans le cadre du confinement : livraison à domicile, carte cadeau, à emporter, etc.” (consommatrice, Ile-de-France, 17 avril) “Les principaux commerçants du marché (fromager, maraîcher bio, primeur, boulanger) ont proposé de faire de la livraison à domicile (minimum de commande). Affiche placardée dans la commune.” (consommateur, Ile-de-France, 18 avril) La crise est pour certains l’occasion de rappeler l’importance sociale de ces commerces de proximité : “Nous nous sommes posés la question (pas très longtemps) si nous restions ouverts mais il allait de soi que l'épicerie était "utile" à maintenir. C'est typiquement ce genre de lieux qui sont pour nous indispensables en temps de crise comme celle là. Pour plusieurs raisons : 1/ En tant "qu'indicateur de santé mentale" du village : depuis 9 mois, nous avons développé une relation de confiance et d'interconnaissance avec les habitants et dans ce contexte anxiogène, ils aiment à venir chez nous pour faire leurs courses tranquillement, avoir quelqu’un à l'écoute, pouvoir se confier si besoin, croiser d'autres habitants et prendre des nouvelles, rester dans la vie active du village.” (commerçant à propos d’une épicerie récemment ouverte dans un village de 500 habitants, Bretagne, 18 avril) Réorganisation des filières entre coopération et tensions La relocalisation des filières d’approvisionnement et de distribution se poursuit et favorise de nouveaux partenariats entre commerces et producteurs : “La Biocoop a fait un partenariat avec un producteur de plants local afin que les consommateurs puissent acheter leurs plants directement en même temps que leurs courses. Au menu : plusieurs variétés de tomates, des fraises et des plantes aromatiques.” (consommateur, PACA, 14 avril) “Je connais une dame qui travaille dans ce magasin, je lui ai parlé de ma difficulté à écouler mes oeufs comme les marchés sont fermés, elle en a discuté avec son chef et le magasin a choisi de travailler avec moi. Je leur vends mes oeufs au même prix que celui que je pratique en vente directe.” (une agricultrice, France 3 Nouvelle Aquitaine, 17 avril) Toutefois, certaines filières sont marquées par des difficultés croissantes chez les producteurs, parfois en conflit avec les industriels en aval. C’est le cas pour la filière viande bovine, où les éleveurs menacent de ne plus envoyer leurs bêtes aux abattoirs face à la diminution des prix d’achat alors que les ventes en grandes surfaces restent bonnes (Ouest France, 21 avril). La filière lait est toujours confrontée à une surproduction. Les labels de qualité et les petites laiteries sont les premières à souffrir de la crise (Réussir, 20 avril), tandis que certaines marques de grande consommation voient leurs ventes progresser (La France Agricole, 21 avril). Les entreprises de l’agroalimentaire parviennent à contenir les problèmes liés au manque de personnel ou à l’absence de masques de protection, mais les commandes ont continué à diminuer ces deux dernières semaines et un tiers rencontre toujours des difficultés pour s’approvisionner en emballages ou en matières premières agricoles (Baromètre de l’ANIA, 17 avril). La question des emballages est également mise en lumière du fait de l’usage important du plastique en cette période pour conditionner les produits. Les représentants de la filière en Europe et aux Etats-Unis ont d’ailleurs cherché à faire valoir auprès des décideurs les qualités hygiéniques du plastique et à faire retirer certaines mesures antérieures visant à en réduire l’usage (Le Monde, 12 avril). Enfin, les stratégies déployées par certains acteurs de la distribution pour écouler leurs produits ne sont pas toujours bien accueillies. La mise en place d’une plateforme de livraison aux particuliers par Rungis a par exemple suscité la colère des autres grossistes et commerçants, redoutant une concurrence déloyale (Réussir, 7 avril). Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°3 Article précédent : Dans les foyers la lassitude commence à se manifester | Article suivant : Des agriculteurs sous tension
- Bulletin de partage 3 - Des circuits courts toujours attractifs mais des interrogation pour la suite
Les circuits courts de proximité restent très plébiscités et les modes de distribution se stabilisent après une période très incertaine notamment autour des marchés. Les producteurs s’interrogent à présent : pourront-ils continuer de répondre à cette demande élevée ? Celle-ci se maintiendra-t-elle ? Une demande élevée qui se prolonge face à une production qui atteint ses limites La demande élevée de produits en circuits courts se maintient sur cette nouvelle période avec des ventes largement supérieures à la moyenne dans la plupart des circuits de distribution (magasins de producteurs, vente à la ferme, drive fermier…) (voir bulletin 1 et bulletin 2) : - “La fréquentation de notre site bonplanbio.fr, référençant les points de vente de produits bio près de chez vous, a été multipliée par 5 au mois de mars.” (association de développement de l’AB, Bretagne, 17 avril) - “Pour les légumes les commandes [de l’AMAP] sont passées de 37 à 62 paniers!” (client d’AMAP, Bretagne, 19 avril) - “Nous vendons actuellement entre 190 et 200 paniers au lieu de 120 habituellement !” (salariée d’un système de vente de paniers, Bretagne, 16 avril) - “[Le Drive Fermier] a multiplié par dix son chiffre d’affaires en doublant le panier moyen et multipliant par 6 voire 8 le nombre de commandes par semaine” (Eclairage de Mélise Bourroullec, Occitanie, 23 avril) Ce maintien d’un niveau de vente élevé questionne de plus en plus les producteurs des circuits courts sur leur capacité à répondre à cette demande, d’autant que la période est habituellement “creuse” pour les maraîchers (période de “creux du maraîcher”, voir la rubrique “des agriculteurs sous tension”). De plus en plus de systèmes de vente directe sont ainsi contraints de limiter les ventes soit car ils arrivent au maximum de leur capacité (organisationnelle ou de réserve de produits) soit pour anticiper les ventes futures et s’assurer de préserver un stock minimal : - “Le Locavor d’Ecuelles enregistre habituellement une trentaine de commandes pour la livraison hebdomadaire d’Avon. Les commandes sont en forte hausse depuis 2 semaines. Le 11/04 la vente en cours pour la semaine suivante a été stoppée prématurément car elle enregistrait déjà 150 commandes, soit la limite de capacité de préparation du Locavor.” (consommateur, Ile de France, 11 avril) - “Nous avons dû limiter le nombre de paniers à 200 car nous n’avons pas assez de bénévoles pour en proposer plus. Depuis le début du confinement, nous avons dû ouvrir une liste d’attente car nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes !” (salariée d’un système de vente de paniers, Bretagne, 16 avril) - “Pour certains produits, l’approvisionnement est limité (légumes, farine, oeuf). Les clients commandent beaucoup plus tôt donc certains produits se trouvent en rupture très vite. Depuis le début de la crise, les ventes ont triplé, passant de 130 paniers par semaine à entre 300 et 400. Nous avons des demandes jusqu’à Rennes ! Dans ce cas, nous réorientons les clients vers des structures plus proches de chez eux. ” (salariée système de vente de paniers en ligne, Ploërmel, 16 avril) Des producteurs et des acheteurs qui trouvent leurs marques malgré les incertitudes concernant la décision publique. La question de l’ouverture des marchés, lieu crucial de commercialisation pour les circuits courts, reste problématique (déjà souligné dans le bulletin n°2). Après l’interdiction des marchés de plein vent par le gouvernement le 23/03, Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture, a appelé les maires et les préfets à favoriser leur réouverture le 10/04 (France TV Info, 12 avril). A cette date, seuls 3 000 marchés étaient ouverts contre 10 700 habituellement (France TV Info, 12 avril). Ce point mentionné dans « Des tendances qui se confirment en matière d’approvisionnement et d’implication » et « Des agriculteurs sous tension » est particulièrement impactant pour les circuits courts. Nous avons ainsi reçu des témoignages contrastés selon le positionnement politique à ce sujet, parfois conciliant, parfois inflexible : - “Le collectif Agricole et les commerçants sont intervenus aussitôt l'annonce de la suppression des marchés pour que le maire fasse une dérogation, ce qui a été fait. Le marché n'a pas été supprimé et le préfet a signé la dérogation.” - “Autour des halles à Tours se tient un marché de plein vent où viennent en particulier des petits producteurs. Depuis le confinement la préfecture a supprimé ce marché. On n'a donc plus accès aux petits producteurs locaux. Il faut aller dans les halles où vendent des négociants ou alors dans les supermarchés. Il eût été facile d'organiser le marché de manière à ce qu'il respecte les règles de distanciation. Il y a la place. C'est un choix politique. C'est une mise à l'écart des circuits courts. Il est plus difficile d'obtenir les légumes de saison (asperges, fraises).” (consommateur, Centre Val de Loire, 18 avril) - “Depuis le confinement je complète mes achats sur le marché (à condition que des producteurs bio y soient présents- je regarde sur le site de la mairie quels commerçants viennent car ils ne sont plus que 15 au lieu de 60 auparavant) afin de soutenir les petits producteurs bio locaux. Mais la ville n’a autorisé l’ouverture des marchés que bien tardivement et suite à des pressions.” (consommateur, Bretagne, 19 avril) Malgré tout, après plusieurs semaines de confinement et d’organisation chamboulées, de plus en plus de producteurs et d’acheteurs semblent trouver leurs marques et stabiliser leur organisation, mise en place dans l’urgence (voir la reconfiguration réactive des circuits de proximité) : - “Après une certaine angoisse chez les producteurs maraîchers et surtout élevage de moutons pour viande d'agneau, chaque producteur a pour l'instant trouvé ses marques” (membre d’une association agricole, Bretagne, 10 avril) - “A partir du 1er avril 2020, des producteurs du marché ont commencé à s’organiser pour mettre en place un service de livraison à domicile. Commande par texto et livraison de la commande un jour donné en fonction du lieu. Paiement par chèque sans contact direct avec le producteur.” (Consommateur, Provence Alpes Côtes d’Azur, déposé le 19 avril) - “cette AMAP a introduit des contrats d’1 mois en complément des contrats de 6 mois prévus habituellement.” (client d’AMAP, Bretagne, 19 avril) - “Des fermes du coin mettent en place des livraisons de paniers commandés au préalable, on peut aussi aller acheter à la ferme du village directement.” (consommateur, Bretagne, 10 avril) - “Les distributions se font désormais avec les mêmes bénévoles selon les précautions d’usage et toujours dehors grâce à la météo clémente. Les Amapiens prennent les paniers des voisins pour éviter des déplacements. Un tableau d’horaires est envoyé pour que 3 personnes maxi s’inscrivent à l’avance sur un créneau.” (membre d’une AMAP, Bretagne, 19 avril) - “les producteurs "mas des canotiers" d'habitude au marché des arceaux font un "drive paysan" hyper bien organisé au bout de notre rue depuis le 1er avril” (consommateur, Montpellier, 16 avril) - “Le marché du samedi matin institutionnel sur Morlaix où l'on trouve énormément de producteurs locaux et bio (viande, pain, yaourts, fromage, légumes, poissons... (au moins 50 vendeurs différents) a été mis en veille durant 2 semaines pour cause de confinement. De nombreuses questions se sont posées pour les nombreux habitués du marché : comment continuer à manger local ? comment continuer à acheter les produits de nos producteurs? comment et où vont-ils vendre leurs produits? Samedi dernier 4 avril, une dérogation avait été demandée pour remettre en place ce marché du samedi. Mais malheureusement, nous nous sommes trouvés très nombreux dans une file d'attente interminable pour seulement 10 producteurs présents (choisis parmi les anciens et adhérents à la MSA (pourquoi?)).” (consommateur, Bretagne, 4 avril) Nous notons derrière cette stabilisation un point de vigilance : la question du coût de ces nouvelles organisations est très peu abordée et repose souvent sur les producteurs ou les bénévoles. Ainsi, plusieurs producteurs proposent désormais la livraison de leurs produits et le coût n’est généralement pas répercuté sur les prix. De même, les achats de masques, gel et gants représentent, à la longue, un coût non négligeable. Par ailleurs, plusieurs personnes impliquées dans des circuits courts bretons ont évoqué dans un entretien avec une animatrice de la FR CIVAM Bretagne le surcoût lié à l’arrêt des consignes sur tout ou partie des emballages, un point sur lequel peu d’informations claires ont été diffusées par le gouvernement : - “Nous avons arrêté le retour des emballages ce qui nous coûte notamment pour les bouteilles de lait et limite également nos ventes car nous n’avons plus assez de bouteilles” (Système de paniers, Bretagne, 22 avril) - “Nous avons décidé de ne pas reprendre les consignes au magasin pendant 1 mois, les clients sont compréhensifs et les producteurs ont confiance dans le fait qu’ils ramènent les consignes quand la crise sera terminée” (Magasin de producteurs, Bretagne, 22 avril) - “Nos producteurs doivent utiliser des emballages neufs alors qu’habituellement ils fonctionnent en vrac ou avec de la consigne. Au delà du coût que l’achat de nouveaux emballages représente, et qui devient non négligeable, cela n’est pas en accord avec les valeurs de la structure qui défend le zéro déchet. Nous nous demandons sous quelles conditions nous pouvons reprendre les emballages ?” (Système de paniers, Bretagne, 16 avril) A cela s’ajoute le coût humain (temps, énergie) de la mise en place de ces nouvelles organisations qui demandent souvent plus d’échanges dans les collectifs de producteurs et des temps de présence allongés pour les bénévoles : - “L’implication demandée aux bénévoles est plus importante, ils doivent à présent préparer les paniers alors qu’avant chacun se servait, et il y a de plus en plus de paniers. Vont-ils tenir dans la durée ?” (Système de paniers, Bretagne, 16 avril) Ces différents surcoûts, à l’image des livraisons, ne sont généralement pas répercutés aux consommateurs, selon les témoignages reçus. Une animatrice d’un groupe de vente directe en Bretagne explique que “les producteurs sont conscients de leur rôle essentiel et ne souhaitent pas faire augmenter leurs prix dans cette situation de crise” : l’occasion de s’interroger sur les prix pratiqués dans les différents circuits de commercialisation (voir : Les chaînes alimentaires tiennent, avec réajustements et interrogations). Les producteurs s’interrogent néanmoins, “est-ce que les gens seront reconnaissants de l’effort que nous avons fait ?” questionne Mme Bousquet (agricultrice qui est passée de 140 à 230 volailles tuées par semaine pour répondre à la demande) dans un article du Monde. “Ce questionnement taraude tous les agriculteurs qui se sont démenés pour produire et trouver, dans l’urgence, de nouveaux modes de commercialisation.” (Le Monde, 20 avril). Un enjeu de communication auprès des nouveaux clients des circuits courts Alors que les circuits courts de proximité attirent plus que jamais, les clients habituels et les producteurs s’interrogent. Les nouveaux clients comprennent-ils les valeurs portées par les acteurs des circuits courts de proximité ? Se rendent-ils comptent des efforts et adaptation mises en place par les producteurs et les bénévoles ? Continueront-ils de venir après la crise ? - “Entre début avril et le 15 avril, entre 2 et 6 appels journaliers de nouveaux clients dont nous n'avions jamais entendu parler avant la "crise" du COVID-19. (...) Nous avons noté que ces nouvelles personnes, clients potentiels de la ferme, ne devaient pas être au fait des saisons et des légumes qui viennent avec. De même, ce profil de personnes, habitant Plomelin, ne nous connaissaient pas avant la crise, malgré notre communication via la presse/télé/site internet/répertoire Mangeons Local et bon plan bio. On peut penser qu'avant le COVID-19, ces personnes ne consultaient pas les plateformes répertoriant les productions locales et que notre absence des réseaux sociaux ne nous avait pas permis d'entrer dans leurs cercle d'information.” (maraîcher, Bretagne, 16 avril) - “A 11h, il n'y a plus rien, [les producteurs] sont ravis de repartir "à vide" [du marché], et espèrent très fort qu'à la fin du confinement les gens poursuivrons leurs achats ici en production locale et de saison. Des producteurs locaux dévalisés...enfin une bonne nouvelle !! “ (consommateur, Nouvelle Aquitaine, 10 avril) - “De nouveaux acheteurs du voisinage surpris par la qualité et le prix abordable des articles.” (agricultrice magasin de produits locaux, Occitanie, 13 avril) Il est donc crucial d’expliquer les modes de fonctionnement aux clients dès aujourd’hui et également au moment de la sortie de la crise, comme l’a souligné l’animatrice d’un groupe de vente directe breton. “Pour l’après-crise, nous voudrions montrer aux médias et aux clients la différence entre magasin de producteurs et d’autres modes de fonctionnement comme La Ruche qui dit oui!” (16 avril). Les prochaines semaines semblent décisives pour que les acteurs des circuits courts parviennent à fidéliser cette nouvelle clientèle et à lui transmettre les valeurs souvent associées à ces circuits alors que beaucoup s’interrogent sur les comportements des consommateurs après le déconfinement et tentent d’élaborer des scénarios (Vosges Matin, 23 avril). Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°3 Article précédent : Des agriculteurs sous tension | Article suivant : Les solidarités face à la détresse alimentaire des plus pauvres
- Bulletin de partage 3 - Des tendances qui se confirment en matière d'approvisionnement
Supermarchés ou achats près de chez soi pour les uns, circuits courts pour d’autres, qui n’avaient pas forcément l’habitude de s’y approvisionner. La fermeture ou la réorganisation des marchés, toutefois, oblige à s’adapter et motive de plus en plus de consommateurs à s’impliquer pour faciliter la mise en place d’autres circuits courts. Deux grandes tendances en matière d’approvisionnement A l’image de ce qui s’observe plus largement, les consommateurs intègrent les exigences de prévention sanitaire dans leurs pratiques d’approvisionnement. Ce qui avait été observé dans les semaines précédentes se confirme : pour tous ou presque, tout d’abord, limiter les risques d’être contaminé, c’est limiter les déplacements pour faire ses courses, “passer moins de temps dans les magasins” (couple habitant à la campagne, 9 avril). La première grande tendance, c’est alors d’acheter tout et beaucoup à la fois en supermarché, si possible en version drive ou dans la moyenne surface située la plus près de chez soi. Comme le montre l’Institut Nielsen, spécialisé dans l’étude de la distribution, les hypermarchés sont délaissés au profit des commerces de détail plus petits et plus près des habitations. Les consommateurs y achètent “des produits qui se conservent (conserves, surgelés)”, “l'indispensable, des pâtes et du ketchup, le reste ça dépend” (élèves de terminale, interrogés par leur enseignante sur les achats au sein de leur foyer, 9 avril). Dans les rayons de ces magasins, témoigne un des répondants, “se succèdent des présentoirs remplis (droguerie) même le papier toilette, d'autres clairsemés (pâtes, conserves, produits secs, beurre) et d'autres vides (farine) ou presque. Les derniers paquets de farine de marque 1er prix sont toujours sur palette et ils sont emportés par 3 ou 4 paquets par personne… aussi je me surprends à en prendre un...je perds un peu mon sang froid... Je pense qu'en temps "ordinaire" peu de gens achète la farine par 3 à 4 kg à la fois et personnellement je n'avais jamais acheté de farine 1er prix” (consommateur à Rennes, 7 avril); “c'était un peu la folie dans le carrefour Market de la ville, des rayons dévalisés, une tension était palpable dans le magasin” (consommateur Ile-et-Vilaine, 10 avril); “[il] règne une atmosphère étrange dans le centre commercial” (consommateur de Rennes). Ce vécu contribue à expliquer le succès du drive mais amène aussi certains consommateurs à préférer les livraisons à domicile quand elles sont proposées par des commerçants de leur quartier, ou bien à se tourner vers des magasins bio, “moins engorgés”, (consommateur, Paris, 18 avril) où “le climat est beaucoup plus apaisant. Les gens font des courses “normales”, avec peut-être des quantités augmentées histoire de ne pas venir tous les 3 jours. Un respect des mesures et une bienveillance se ressent” (consommatrice, Ile-et-Vilaine, 10 avril). Les produits basiques, toutefois, y sont plus chers, rappelle un répondant. De plus, la tension, le sentiment de gêne peuvent aussi être ressentis dans ces magasins qui deviennent alors plus fréquentés : “Hier je vais faire mes courses [dans un magasin bio] et là une queue interminable (mon horaire n'a pas changé depuis les semaine précédentes), les gens s'agglutinent, beaucoup portent des masques et des gants, mais ne respectent pas les règles de distance... Les sourires sont rares, certains rayons sont vides... Le personnel semble fatigué et usé. Je ressens une ambiance lourde. Quand je rentre, je me sens mal, fatiguée “ (consommatrice de l’Hérault, 16 avril). La seconde tendance est de se tourner vers les circuits courts, dans lesquels beaucoup de répondants achetaient déjà, au moins un peu ou de temps en temps, mais la crise les amène à y acheter davantage: “circuits courts privilégiés, produits bio en priorité [...] Ces habitudes étaient déjà présentes avant le confinement mais ont cependant augmenté“ (consommateur, département Puy-de-Dôme). L’engouement va au-delà des consommateurs qui utilisaient déjà ces circuits, “pour recréer du lien avec les producteur près de chez soi, que ce soit par solidarité avec eux ou par peur de se rendre en supermarché” (salariée d’une association bio, Finistère); “Acheter local n'était la préoccupation que d'une partie de nos adhérents déjà sensibilisés (famille 0 déchets...) mais le confinement a permis à beaucoup de réfléchir et d'avoir envie de produits à proximité pour être sûr d'en avoir…, pour rémunérer les paysans proches de chez eux qui ne peuvent plus vendre sur les marchés…” (animateur d’une association environnementaliste, Finistère, 27 mars). Lors de ces achats, “de nouveaux acheteurs du voisinage [sont] surpris par la qualité et le prix abordable des articles” (productrice d’une boutique de producteurs, Aveyron, 13 avril). Ce n’est pas toujours facile, toutefois, d’acheter dans ces circuits : “Je souhaitais rejoindre une AMAP il y a quelques temps mais les deux présentes dans la ville sont déjà complètes malheureusement. Depuis le confinement, je tente désespérément de me fournir auprès de producteurs locaux mais il y a trop de demandes et beaucoup d'initiatives mais peu à proximité de mon domicile.” La fermeture des marchés a compliqué les achats auprès de producteurs locaux mais elle a aussi suscité la mise en place de nouveaux circuits, dont certains avec l’appui de consommateurs. Une fermeture des marchés qui révèle leur importance et encourage l’implication L’achat en circuits courts s’est nettement compliqué avec la fermeture des marchés, qui a fortement perturbé leurs habitués. A Morlaix, par exemple, “le marché a été mis en veille durant 2 semaines pour cause de confinement. De nombreuses questions se sont posées pour les nombreux habitués du marché : comment continuer à manger local? comment continuer à acheter les produits de nos producteurs? comment et où vont ils vendre leurs produits?” (consommateur, 4 avril). Certains marchés ont été maintenus mais moyennant une réorganisation dans le cas des gros marchés et/ou des grandes villes : les marchés ouverts ont souvent été réduits à quelques étals de producteurs. Ceux-ci ont une offre “moins diversifiée”, surtout pendant cette période charnière entre deux saisons, si bien qu’il est plus difficile de s’y approvisionner : “nous nous sommes trouvés très nombreux dans une file d'attente interminable pour seulement 10 producteurs présents. J'ai donc comme beaucoup renoncé à y aller” (consommatrice de Morlaix, 4 avril). Les répondants déclarent par contre que les consignes sanitaires y sont bien respectées et certains décrivent même minutieusement la façon dont la sécurité du lieu est assurée, en général avec l’appui de la mairie. Seulement un témoin évoque le fait que peu de personnes portent des masques et l’inquiétude que génère chez lui le fait que les exposants manipulent de l’argent. Si la fermeture ou la réorganisation des marchés a un impact particulier, c’est aussi parce que, comme le souligne un répondant, le marché est un lieu important pour permettre à tous d’accéder à des produits frais à des prix intéressants : ’’en temps normal, venir sur ce marché permet de se ravitailler sur tous les produits frais et périssables. En temps normal, on peut donc aller au supermarché seulement pour l'hygiène et les produits d'entretien et se nourrir, même à prix réduits en concentrant ses achats de fruits et légumes chez les marchands les moins chers. Or, dans cette nouvelle configuration, ce ne sont pas les étals les plus variés et les moins chers qui sont présents, mais les plus "locaux", avec des prix assez élevés et une belle qualité de produit. Ce marché de centre ville très fréquenté normalement par des retraités et des personnes à faibles revenus exclut une partie de ses consommateurs habituels” (consommateur des environs de Toulouse, 9 avril). Suite à la fermeture ou à la réorganisation des marchés, les consommateurs s’adaptent, changent de circuit, tout en essayant de conserver leurs critères d’achat : “Notre alimentation est en grande partie composée par des achats au marché auprès de producteurs. Il est à mon sens dommage que cet accès ait été interrompu. Nous complétons par une épicerie coopérative qui est devenue notre principale source d’approvisionnement. Des super initiatives des coopérateurs ont permis de mettre en place des distributions de produits de producteurs qui ne pouvaient plus écouler leur stocks (fromagers, maraîchers, volailles) et qui ont aussi augmenté les commandes de produits frais d’un distributeur de Rungis” (couple banlieue parisienne, 11 avril). Dans certains territoires, en effet, les consommateurs bénéficient de solutions mises en place par des producteurs, des revendeurs, des associations ou des collectivités (livraisons à domicile, installation d’un distributeur automatique, publication d’une liste de contacts sur le site de la ville…). Là encore, les répondants mettent en avant le respect des consignes sanitaires, appuyé sur une nouvelle organisation que certains décrivent précisément (créneau horaire pour chaque client, prix ronds pour éviter de rendre la monnaie…). Le développement de ces solutions pratiques et de proximité amène certains à déclarer que “cette crise nous aidera donc à consommer encore plus local” (consommateur de la banlieue parisienne, 19 avril). Des consommateurs, toutefois, déplorent “un manque cruel d’informations pour retrouver nos habitudes de marché” (couple au Havre, 16 avril) et regrettent que “la diminution des lieux d’accès à de l’alimentation rend de plus en plus incontournables les gros acteurs comme le Carrefour et le leader price” (consommateur de la banlieue parisienne, 11 avril). Confirmant ce qui était mentionné dans le bulletin n°2, un nombre croissant de consommateurs s’impliquent pour aider des producteurs à commercialiser leurs produits. C’est, comme dans la période précédente, le cas de membres d’Amap, qui proposent à d’autres producteurs de livrer des produits au moment de la distribution de leur Amap. Cela devient aussi, dans cette nouvelle période, le cas de consommateurs habitués à acheter au marché. A Rennes, par exemple, un des principaux marchés est maintenu mais avec la moitié des étals, ce qui génère des temps d’attente importants et ne suffit pas à couvrir la demande. Un couple de consommateurs de Rennes aide alors un maraîcher, auprès duquel ils s’approvisionnent d’habitude sur ce marché, à vendre directement ses produits dans leur réseau. Par sms, ils invitent leurs amis, leurs voisins à lui commander des produits mais aussi à comprendre ce que vit ce dernier : "Bonjour chères amies, chers amis, notre maraîcher, se lance dans la livraison de ses super légumes et fruits de saisons bio et locaux, ne soyez pas trop durs avec lui, s'il y a des cafouillages, c'est une grande première à si grande échelle, voici sa liste de légumes, son numéro, envoyez lui un sms avec votre adresse et il vous livrera” [...] A date du 15 avril, nous sommes 6 appartements à commander des légumes et des fruits chez lui et deux ami.e.s rennais.e.s. Chaque semaine, nous envoyons un petit sms, pour informer nos voisin.e.s et ami.e.s lorsque nous lui faisons des commandes pour lui éviter des A/R” (Rennes, 15 avril). L’implication des uns entraîne l’implication des autres, les témoignages confirment la multiplication de groupements d’achat qui se créent entre voisins : on se partage les commandes, les trajets pour faire des courses. Même ceux qui ne le font pas évoquent l'idée d’être solidaire vis-à-vis des producteurs mais aussi de s’organiser à plusieurs : “nous voulions trouver une solution pour les producteurs du marché et le quotidien faisant n'avons pas eu la force de créer de groupement d’achat ou tout simplement de les appeler....” (couple au Havre, 18 avril). Pour les adeptes du supermarché comme pour ceux des circuits courts, les commerces de proximité sont des compléments utiles. Les clients des supermarchés semblent plutôt se tourner vers les commerces qui livrent à domicile. Les clients des marchés reportent leurs achats vers les primeurs, les commerces de bouche ou bien privilégient les magasins bio, confirmant des liens déjà mis en avant dans des études sur la consommation en circuits courts ou de produits bio. Enfin, quand on peut, on cueille ce qu’il y a autour de chez soi, on sème pour produire soi-même : “Apparition de 30 M2 de jardin en trois parties, là où il n'y avait que sable et mauvaises herbes. 2 parcelles de 12m2 et une de 6m2” (habitant du département de la Charente-Maritime, 13 avril). Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°3 Article précédent : Dans les foyers la lassitude commence à se manifester | Article suivant : Les chaînes alimentaires tiennent avec réajustements et interrogations
- Covid-19 et Systèmes alimentaires, "Manger au temps du coronavirus" - Bulletin de Partage 3
Pour ce troisième numéro du bulletin de partage de l’enquête “Manger au temps du coronavirus”, nous couvrons la période du 7 avril à 12 heures au 21 avril à 12 heures. Ce bulletin s’appuie sur l’analyse de 138 contributions reçues à travers le formulaire en ligne et de 18 autres par d’autres canaux (réseaux sociaux ou échanges directs), ainsi que sur des apports issus de 61 articles de presse. Nous sommes amenés à améliorer régulièrement notre formulaire de remontée d’informations. Ne vous étonnez donc pas si notre page évolue, à la fois pour assurer le respect le plus scrupuleux de la confidentialité des données mais aussi pour susciter des contributions auprès de profils ou de professions peu représentées jusqu’à présent. Nous ne prétendons pas à la représentativité dans notre enquête et savons que les répondants sont majoritairement des personnes intéressées par les questions alimentaires. Nous devons toutefois être plus précis et une description générale de la diversité des répondants sera diffusée prochainement. Dans ce bulletin, nous vous proposons déjà une carte de France Métropolitaine, réalisée par Doriane Guennoc (Terralim) situant la commune de résidence de toutes les personnes qui nous ont répondu de façon complète (à la date du 21 avril). Notons que nous avons également une réponse de Mayotte qui n’est pas indiquée. Nous constatons à travers cette carte qu’une grande partie du territoire est couverte, même si la localisation de notre équipe à Rennes et à Montpellier renforce la participation dans ces régions où le nombre d’enquêtés dans la ville centre s’élève respectivement à 35 et 8. Les retours d’expérience proviennent aussi bien de territoires ruraux dont les lieux indiqués sont “maison de campagne sans voisins”, “mas isolé” ou encore “petite épicerie d'un petit village rural” que de zones urbaines et péri-urbaines où les enquêtés indiquent témoigner sur ce qui se passe “chez moi, dans mon appartement, en ville”, dans un “pavillon de banlieue” ou bien “un supermarché”. Au 21 avril, nous disposions au total de 430 remontées d’expériences via le formulaire, de 257 articles de média référencés, et de 135 autres sources. Ce corpus nous permet désormais de commencer à formuler des hypothèses et des pistes à creuser pour l’après-confinement. Nous inaugurons avec ce numéro l’inclusion d’un éclairage d’expert sur la question des limites de l’action des communes au regard des règles nationales. Il s’agit de Luc Bodiguel, directeur de recherche au laboratoire “droit et changement social” du CNRS. En parallèle, l’espace covid-19 et systèmes alimentaires s’enrichit. Une première analyse lexicométrique (quels mots reviennent souvent, liés à quels autres ?) est disponible, des ressources en ligne sont signalées, et la rubrique “éclairages” se développe. Après un premier regard sur la restauration privée, un second vient éclairer le cas des plateformes de distribution situées en Occitanie. A venir, les résultats d’une enquête réalisée auprès des agriculteurs urbains professionnels et une analyse des conséquences de la crise sur les systèmes agricoles et alimentaires dans les îles de l’Atlantique. Nous relayons des éclairages proposés par des acteurs autres que ceux qui forment notre équipe, n’hésitez donc pas à nous adresser les vôtres à animation@rmt-alimentation-locale.org. A nouveau un grand merci à toutes et à tous pour vos précieux témoignages ! Pour nous proposer de nouveaux retours d'expériences, n'hésitez pas à remplir le formulaire à différents moments et à le faire circuler autour de vous : Questionnaire Ce 3ème bulletin se compose de 9 rubriques : Une stabilisation des pratiques alimentaires, des inquiétudes à moyen terme Dans les foyers, la lassitude commence à se manifester Des tendances qui se confirment en matière d'approvisionnement et d'implication Les chaînes alimentaires tiennent, avec réajustements et interrogations Des agriculteurs sous tension Des circuits courts toujours attractifs mais des interrogations pour la suite Les solidarités face à la détresse alimentaire des plus pauvres Le retour de la politique Crise et solutions à partager, pour maintenant et pour l'après Vous pouvez télécharger le bulletin dans son intégralité ici : Télécharger le bulletin de partage n°3 En savoir plus : www.rmt-alimentation-locale.org/covid-19-et-alimentation Nous contacter : animation@rmt-alimentation-locale.fr L’enquête “Manger au temps du coronavirus” a été initiée par des membres de l’Unité Mixte de Recherche Espaces et Société (C. Darrot, G. Maréchal), avec le cabinet coopératif Terralim (B. Berger, V. Bossu, T. Bréger, D. Guennoc, G. Maréchal, C. Nicolay), et les CIVAM de Bretagne (A. C. Brit), grâce à la stimulation du Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement de Belle-Île en Mer (G. Février) et l’association Fert'Île de Bréhat (F. Le Tron). Le bulletin de partage n°2 est rédigé collectivement par : Akermann G. (Inrae), Berger B. (Terralim), Bodiguel L. (CNRS), Brit A.C. (FR CIVAM Bretagne), Chiffoleau Y. (Inrae), Darrot C. (Institut Agro), Grimonpont A. (Greniers d'abondance), Lallemand F. (Greniers d'abondance), Maréchal G. (Terralim), Nicolay C. (Terralim), avec l'appui de F. Egal (Réseau des politiques alimentaires) et de D. Guennoc (Terralim), et sous la coordination éditoriale de Chiffoleau Y., Darrot C et Maréchal G. Sa réalisation est appuyée techniquement par Brit A.C., Lecouteux C., Muller T. et Peyrin F. L'initiative est soutenue par le RMT Alimentation locale, S. Linou, consultant résilience alimentaire, le Centre d'Etudes et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales à Lille (S. Makki), l’association Résolis (H. Rouillé d’Orfeuil, M. Cosse) et H. Torossian, consultante en sécurité civile et résilience. Avec le soutien financier de la Fondation Daniel et Nina Carasso. Date d’édition : 27/04/2020
- Bulletin de partage 3 - Crise et solutions à partager, pour maintenant et pour l'après
La crise bouleverse les systèmes alimentaires mais fait aussi émerger solutions, innovations, actions collectives, intéressantes dès à présent et/ou pour l’après-crise. Rapide synthèse des bons plans à partager et peut-être à prolonger. Cette rubrique est aussi la vôtre, envoyez-nous des idées ! Tout d’abord, pensons à ceux que la crise fragilise encore davantage : la rubrique « Les solidarités face à la détresse alimentaire des plus pauvres » présente différentes actions possibles, en France et à l’étranger, pour aider les personnes en difficulté à s’alimenter; ne pas oublier les étudiants, parfois en grande difficulté à quelques pas de chez soi. Suite à la fermeture des marchés, certains consommateurs regrettent de ne pas avoir les coordonnées des producteurs auprès desquels ils s'approvisionnent d’habitude et se promettent de prendre les contacts des producteurs après la crise : “je ne trouve pas normal que les marchés avec des producteurs locaux et souvent bio ne soient pas accessibles. Je n'ai pas leur contact direct je ne peux pas les joindre directement pour me ravitailler et les soutenir. C'est ma note pour le futur, avoir tous les contacts des producteurs et pas seulement connaître leurs emplacements de marchés” (consommatrice de Rennes, 10 avril). La manipulation d’argent suscite des inquiétudes chez les consommateurs : quand le paiement à l’avance en ligne n’est pas possible, favoriser un paiement sans contact, par chèque, proposer des prix ronds (1 croissant = 1 euro…) pour éviter d’avoir à rendre la monnaie. Les groupements d’achat entre voisins se multiplient et permettent notamment de passer commande auprès d’un producteur et/ou d’un commerçant qui ainsi rentabilise sa livraison : pourquoi pas vous ? Des producteurs utilisent les cartes ou plateformes informant les consommateurs des producteurs situés près de chez eux ou livrant à domicile ou dans des points retraits pour monter des dispositifs collectifs de vente ou bien mutualiser les livraisons avec des collègues. Des agriculteurs doubles actifs, qui ont aussi souvent un pied en ville, aident leurs collègues à trouver des lieux de vente ou des groupements d’achat en ville. Des consommateurs, des acteurs associatifs, des agents de collectivités s’impliquent dans le traitement des commandes et l’organisation des distributions afin de soulager les producteurs et leur permettre de passer plus de temps sur leur ferme, tout en aidant à sécuriser les lieux et moments de distribution. Des producteurs mais aussi des consommateurs de circuits courts communiquent dès maintenant sur les valeurs associées au circuit court pour informer et fidéliser les nouveaux clients arrivés pendant la crise ; a minima ils récupèrent leurs adresses mail, pour garder le contact (voir Des circuits courts toujours attractifs mais des interrogations pour la suite) Des structures de développement agricole et rural mais aussi des acteurs directs des circuits courts, situés dans la même région, se rencontrent pour se rassurer, partager des bonnes pratiques, prendre des idées. Ceux qui étaient déjà en réseau en mesurent l’intérêt. L’échange avec les pairs est utile et rassurant dans une période de crise comme celle-ci. Cela donne envie à certains réseaux de renforcer les moyens de communication internes après la crise, pour poursuivre ces échanges et favoriser la réactivité. Les acteurs des structures de vente faisant face à une demande de plus en plus importante mettent en avant l’intérêt d’essaimer leur type de structure dans différents territoires, plutôt que de grossir. Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°3 Article précédent : Le retour de la politique |
- Bulletin de partage 3 - Des agriculteurs sous tension
La réorganisation majeure imposée aux dispositifs de distribution se répercute sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. Les agriculteurs doivent faire face dans l’urgence à la réorganisation de leurs débouchés. Certains domaines suscitent des inquiétudes comme les filières longues en production animale et en fruits et légumes. A l’échelle locale, les producteurs orientés vers les circuits courts sont sur-sollicités et doivent arbitrer leur temps et leurs productions entre une réponse à la demande immédiate démultipliée et l’anticipation de leur saison productive. Filières longues, industrie Au cours de cette quinzaine, la presse a relayé significativement des alertes sur les répercussions du confinement sur l’organisation des filières alimentaires industrielles. L’enjeu de la main-d’œuvre saisonnière migrante à remplacer a d’abord mobilisé le devant de la scène, avec deux types d’informations : l’appel à des volontaires nationaux à travers l’opération « des bras pour ton assiette » lancée par le Ministère de l’agriculture à la demande du syndicat agricole majoritaire, initiative qui a reçu bien plus d’offres de volontaires (240 000 environ) que d’offres d’emploi des agriculteurs (moins de 100 000) (Mediapart, 18 avril) ; puis progressivement la reprise de charters de saisonniers d’Europe de l’Est malgré le confinement, avec des exemples évoqués par la presse en Grande Bretagne ou en Allemagne (Courrier International, 17 avril). La déstructuration des marchés agricoles percute la situation des producteurs livrant en circuits longs : les maraîchers livrant aux grossistes peinent à trouver des saisonniers pour les récoltes d’asperges et de fraises ; les agneaux de Pâques restent invendus dans les bergeries en raison de l’annulation des fêtes ; les laiteries demandent aux producteurs de limiter leurs productions : «Il faut absolument plafonner la production [laitière] en Europe et indemniser les producteurs», a déclaré Didier Guillaume (Le Figaro, 8 avril). Mis bout à bout, l’ensemble évoque progressivement l’amorce d’une crise du secteur alimentaire : La solidarité de proximité et la progressive porosité entre circuits longs et circuits courts s’organise ici et là : «Étant double active habitant en ville mais ayant une exploitation agricole, des amis agriculteurs m'ont dit qu'un producteur d'asperges était en difficulté. Du coup chose que je n'avais jamais faite auparavant c'est l'appeler alors qu'on ne s’est jamais vus mais à la campagne on est toujours là fille de… Et j'ai activé la recherche de solutions car ses principales ventes sont en Belgique avec les frontières fermées et la baisse de consommation c'est compliqué. Mise en lien avec la métropole où il y a beaucoup de demandes en circuits courts., un restaurateur actif sur les liens et la solidarité, et contacter mon cousin qui est là tête d'une cuisine centrale pour une entreprise de restauration collective”. (Agricultrice double active, 10 avril) En Europe, le Green Deal qui oriente l’agriculture vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement passe progressivement au second plan derrière l’urgence de réorganisation des marchés des produits agricoles : l’effritement des mesures en faveur de l’écologisation des pratiques, de la biodiversité, de la lutte contre la déforestation est d’ores et déjà à l’œuvre. En France, la presse relaie les controverses tendues entre d’une part les éléments de connaissance sur le fait que le virus est véhiculé par les particules fines notamment celles issues des épandages et traitements agricoles (Le Parisien, 6 avril 2020), d’autre part la récente décision du 30 mars du ministère de l’agriculture qui «a accordé une dérogation, faisant passer la ZNT (zone de non-traitement, NDR) de cinq à trois mètres dans les départements où une « concertation aura été lancée ». (Le Monde, 18 avril). Le 27 mars 2020, Air Breizh, chargé du suivi de la qualité de l’air en Bretagne, informe d’un épisode de pollution aux particules fines, inattendu en ce temps de réduction d’activité : “Cet épisode de pollution particulaire printanier résulte d’une conjonction de différents facteurs et notamment : ● des conditions météorologiques propices à l’accumulation des polluants (temps ensoleillé, conditions atmosphériques stables, vents faibles), ● des émissions locales de particules fines PM10 : dont principalement les activités agricoles (épandage et émissions d’ammoniac générant des particules secondaires) et le chauffage (dont chauffage au bois), ● de transferts de masses d’air chargées en particules en provenance du Nord-Est.” Producteurs en circuits courts Les producteurs en circuits courts affrontent aussi des difficultés organisationnelles liés aux systèmes de vente. Au premier plan, la limitation (en nombre de marchés, en nombre d’étals et de clients autorisés par marchés, et en fréquentation) des marchés de plein vent a engagé producteurs et consommateurs à s’organiser avec d’autres solutions. Au marché, « il n'y avait qu'un seul stand... celui du boulanger bio d'Essé ! D'après lui, les autres exposants habituels (notamment maraîchers) ont beaucoup de boulot en ce moment, et écoulent peut-être toute leur marchandise par d'autres canaux (paniers, etc.) à tel point que ça ne vaudrait plus le coup pour eux de venir sur ce marché... ? Pendant les 10 mn que je suis resté causer avec le boulanger qui se sentait bien seul, je n'ai vu aucun autre client (pratique pour les distances de sécurité qui souvent ne sont pas respectées sur les autres marchés...), et je suis du coup reparti avec 2 kg de pain mais sans légumes… » (Cesson Sévigné, 35, 6 avril) Les drives ont pris leur essor, mais également la vente à la ferme où les producteurs proposent parfois à leurs voisins de venir déposer des produits pour enrichir l’offre. La vente à la ferme était en relative stabilité avant le confinement en raison du temps nécessaire pour aller s’approvisionner : ce facteur temps disponible permet justement aux consommateurs de retrouver un intérêt pour cette solution. La fréquentation de toutes les solutions de vente directe se démultiplient spectaculairement, appuyée par des outils numériques : La fréquentation de notre site bonplanbio.fr, référençant les points de vente de produits bio près de chez vous, a été multipliée par 5 au mois de mars. Le 9 avril, nous avons eu autant de visiteurs sur le site que sur tout le mois de février. Certains producteurs disent avoir multiplié leur nombre de clients par deux (ce qui est parfois embêtant pour les maraîchers puisque c'est un peu la période creuse pour les légumes). Le nombre d'abonnements hebdomadaires à notre page Facebook a lui aussi été multiplié par 3 ou 4 au début du confinement. (animatrice de développement, 17 avril, Finistère) Entre début avril et le 15 avril, entre 2 et 6 appels journaliers de nouveaux clients dont nous n'avions jamais entendu parler avant la "crise" du COVID-19. Ceux-ci voulaient savoir si nous vendions des légumes à la ferme ou bien en système drive. Nous leur répondions à chaque fois que notre vente du samedi était autorisée par commune/préfet et que nous la maintenions. (…) On peut penser qu'avant le COVID-19, ces personnes ne consultaient pas les plateformes répertoriant les productions locales ( maraîcher Finistère, 16 avril) Marché à la ferme hebdomadaire chez moi à Vernou. Habituellement 50 familles, depuis 3 [semaines] = 220 familles. Les produits vendus sont tous Bio et locaux. Tous.les.nouveaux clients sont du village de St Quirc ou de Cintegabelle (5km). (11 avril - 09700) Cependant ces solutions ne sont pas infaillibles. Les produits peuvent manquer pour fournir cette demande démultipliée : Heureusement, j'avais pris les devants en allant le vendredi chez une productrice qui regroupe la vente à la ferme donc changement de circuit pour moi avec certains producteurs qui restent les mêmes et d'autres non. Mais cette productrice un peu débordée a dû organiser un rationnement (1kg de pommes de terre par famille, 3 grosses carottes par famille...) pour que tout le monde soit satisfait.) (Morlaix 4 avril, consommateur) A chaque appel, nous précisions également que ce n'était pas la période idéale pour se fournir en légumes locaux car nous étions en plein "creux du maraîcher". Nous avons noté que ces nouvelles personnes, clients potentiels de la ferme, ne devaient pas être au fait des saisons et des légumes qui viennent avec (maraîcher Finistère, 16 avril) Les solutions de repli vers des modalités de vente locale réinventées ne sont pas toujours immédiates ni suffisantes : Moi-même apicultrice depuis 4 ans, j’ai espéré qu’avec le confinement, des moyens soient mis en place pour aider au développement des circuits courts. Résultats : des collègues paysans, dont des jeunes agriculteurs en installation, se retrouvent en grosse difficulté de trésorerie et cherchent par leurs propres moyens et leur imagination de nouveaux circuits de commercialisation comme des drives fermiers soutenus par la chambre d’agriculture de Lozère (10 avril) L’organisation du travail à moyen terme et le maintien d’un équilibre économique se profilent comme des enjeux délicats pour l’ensemble de la période à venir : Il ne faut pas trop de monde en même temps : ça va vite d’être débordé, de devoir garer les voitures, gérer l’afflux de travaux aux champs : à jour ; les oignons à planter » (un agriculteur bio du Morbihan à propos des ventes à la ferme, 14 avril) Pour les producteurs que j’accompagne, le quotidien ne change pas, ou très peu (moins d'interactions sociales ou de visites), mais ils sont pénalisés par le manque de main d'oeuvre (chantier participatif annulé ou woofers absents par exemple), les ruptures de stock des pépinières et l'annulation de certaines sources de financement comme des concours de projet agricole durable. (conseillère en agroforesterie basée à Paris, 18 avril) J’ai fait ma petite enquête auprès de notre paysan boulanger : il va devoir, au rythme qu'on lui demande, racheter de la farine et en Bretagne il n'en trouve plus ! (Consommateur Ile-et-Vilaine, 16 avril). Il est difficile de convaincre les producteurs eux-mêmes de maintenir un équilibre entre leur travail de production et le maintien du contact avec les mangeurs. Il serait fort dommage que leur activité en pâtisse dans les mois à venir alors qu’il faudrait saisir ce tournant de la résilience des systèmes alimentaires (réaction d’une chargée de développement à un post, 11 avril). Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°3 Article précédent : Les chaînes alimentaires tiennent avec réajustements et interrogations | Article suivant : Des circuits courts toujours attractifs mais des interrogations pour la suite
- Bulletin de partage 3 - Dans les foyers la lassitude commence à se manifester
Alors que les routines alimentaires se sont installées au cours des 3 premières semaines de confinement, un sentiment de lassitude apparaît. La répétition à l’identique des tâches alimentaires est vécue comme pesante dans certains foyers. Les routines alimentaires s’inscrivent dans la durée... La chronique des quatrième et cinquième semaines du confinement s’inscrit dans la continuité de la quinzaine précédente. Les routines sont installées, et parfois de façon très stricte “2 repas équilibrés à faire par jour, viande 3 fois par semaine, poisson 1 fois par semaine, œufs 1 fois par semaine. Augmentation de la fréquence d'achat des produits frais (légumes/fruits/fromage/pain)” (famille de 6 personnes en milieu rural, 9 avril). Les évolutions du régime alimentaire persistent “depuis la mise en place du confinement l'attitude de mon conjoint vis à vis de l'alimentation a évolué : il mange principalement des pâtes (alors que franchement il y a des options fraîches), moi je fais super attention à ce que je mange, car je ne veux pas grossir” (consommatrice en Occitanie, 16 avril). L’alimentation et la cuisine continuent à jouer leur rôle de lien, au sein des familles “on se rend compte de l'importance de la nourriture, qu'on se regroupe autour du repas afin de rigoler et d'échanger sur comment on se sent, de quoi on a besoin…” (consommateur d’Ille et Vilaine, 10 avril) ou entre voisins “entre voisins nous avons partagé des plats qu’on avait chacun préparés… en posant les plats sur le devant de la porte de chacun ou sur le mur de clôture… cela c’est fait spontanément, chacun quand il cuisinait en partageait avec un voisin et souvent en échange le voisin faisait passer des œufs, de la confiture” (consommateur en Auvergne, 10 avril). Les bonnes résolutions continuent à s’affirmer: “je suis de fait végétarienne depuis le début du confinement et pense conserver cette habitude après le déconfinement car je m'aperçois que la viande ne me manque pas” (consommatrice parisienne, 18 avril). La période d’après le confinement commence à hanter les esprits “se pose alors la question avec l'apparition de premières carences sur ces mêmes produits de savoir si nous pourrons en bénéficier dans des quantités suffisantes et à des prix abordables dans les semaines à venir [...] Le doute de ce qui se profile est d'autant plus fort étant donné les interrogations souvent évoquées de la capacité limitée d'autonomie alimentaire des villes et les restrictions qui peuvent en découler.” (consommateur de Bretagne, 18 avril). … mais commencent à peser La nouveauté vient sans doute de l’expression d’une lassitude face aux routines. Les discours enthousiastes ou fatalistes sont désormais tempérés par d’autres qui décrivent “le sentiment de ne jamais sortir de l’obligation de cuisiner” ou “d’avoir à toujours y revenir” (entretien privé avec des personnes en Bretagne, Rhône Alpes, Pays de la Loire, le 16 avril), en particulier dans des familles ou cette “obligation” se superpose à d’autres, comme la surveillance et l’éducation des enfants. Au point que plusieurs personnes de ce même échange collectif soulignent le recours, par elles ou des proches, à des commandes auprès de restaurants ou traiteurs pour casser la routine, chose qu’elles ne faisaient pas, ou moins, avant. Les bornes inhérentes à la crise, qui restreint les choix, ajoutent à cette fatigue “aussi je me rends compte qu'avant le confinement je pouvais choisir ce que je mettais dans mon assiette, aujourd'hui après 5 semaines de confinement cela n'est plus totalement le cas” (consommatrice d’Occitanie, 16 avril). Le souvenir du “bon vieux temps d’avant” taraude certains “avant le confinement, bien que j'essaye un maximum de cuisiner (végétarien) chez moi, je mangeais tout de même au moins 4 ou 5 fois par semaine hors domicile (déjeuner dehors autour du bureau, afterwork en semaine, restaurant le week-end). Le confinement ne m'a donné d'autre choix que d'arrêter cette consommation extérieure (principalement motivée par des raisons sociales, puisqu'en confinement, je ne commande pas à emporter)” (consommatrice parisienne, 18 avril). Ce qui a pu être un plaisir au début, attisé par la nouveauté, devient une contrainte “je me force pour les fruits et légumes pour ma santé” (consommateur isolé en région parisienne, 17 avril) “nous arrivons à tenir bon, malgré le temps que cela prend, avec une alimentation saine” (couple en télétravail en région parisienne, 18 avril). L’observation de comportements comparables autour de soi attise la lassitude, comme cette consommatrice d’Occitanie qui note le 16 avril lors d'achats dans un magasin bio qu’elle fréquente d’habitude que “le personnel semble fatigué et usé. Je ressens une ambiance lourde. Quand je rentre, je me sens mal, fatiguée”. Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°3 Article précédent : Une stabilisation des pratiques alimentaires, des inquiétudes à moyen terme | Article suivant : Des tendances qui se confirment en matière d'approvisionnement et d'implication
- Bulletin de partage 3 - Une stabilisation des pratiques alimentaires, des inquiétudes à moyen terme
Cette quinzaine marque le fait que le contexte sanitaire a un effet structurant sur les modes d’approvisionnement. Nous notons également l’apparition d’une certaine prise de recul après les bouleversements apparus suite au confinement. Après une stabilisation des habitudes prises en urgence, s’ouvre maintenant une séquence sur le moyen terme avec des constantes sur la polarisation des modes d’achat et sur la place des maires, ainsi que des questionnements ou des positionnements sur l'évolution du modèle alimentaire. Tendance qu’il s’agira d’observer à moyen terme, la polarisation des modes d’approvisionnement semble se confirmer avec des supermarchés très sollicités notamment à travers les services de drive et des circuits courts alimentaires qui atteignent leur meilleur niveau. L’interrogation est forte sur la pérennité de ces habitudes, cette question nécessitera une observation fine de terrain à moyen terme. La logistique résiste pour le moment assez bien à cette ruée vers l’alimentaire, dense et soudaine. De manière générale, nous notons la capacité des acteurs à répondre de manière réactive à cette situation exceptionnelle. Les volumes nécessaires de denrées alimentaires et les ajustements sanitaires sont mobilisés tant en circuits courts que dans les filières industrielles. Le moyen terme inquiète davantage. En effet, cette troisième période est marquée par l’émergence des préoccupations autour de questions et initiatives plus globales et de long terme. La presse et quelques témoignages commencent à rendre compte d’inquiétudes concernant les failles de la production et des marchés alimentaires : l’impossibilité de récolter (faute de main d’œuvre) ou de commercialiser (faute de demande, d’intermédiaires ou d’autorisation) les produits agricoles et alimentaires interroge. Les pertes par gâchis ou faute de débouchés structurés se révèlent progressivement, le revenu et l’organisation du temps et des débouchés des agriculteurs sont progressivement mis en tension. Du point de vue social, les demandes adressées à l’aide alimentaire se démultiplient aussi. Des inquiétudes croissantes au sujet des précaires, des personnes à bas revenus, des migrants s’expriment, notamment au sujet de leurs enfants : l’arrêt des repas à la cantine suscite des difficultés pour assurer aux enfants 100% des repas à domicile. Ce sont les premières victimes socio-économiques de la réorganisation du système alimentaire et du confinement. D’une manière générale, les attitudes de solidarité autour de l’alimentation (regroupement des courses entre voisins, aide aux personnes âgées, commandes groupées aux agriculteurs locaux), exprimées dans la proximité du village ou du quartier, se confirment comme une caractéristique forte de cette période de confinement. Pour présenter les solutions mises en œuvre par les producteurs pour réorganiser leurs débouchés face à la fermeture des marchés (livraison, retrait à la ferme…), nous avons reçu quelques témoignages directs, complétés de nombreux retours de consommateurs qui se font « porte-parole » de la situation des producteurs. Ces derniers témoignent également de liens avec de nouveaux clients ce qui réinterroge leur façon de communiquer. Les opérations de solidarité se poursuivent dans ce contexte (voir la rubrique solidarités), tant à l’égard de ces populations précaires que des agriculteurs et artisans proches géographiquement, dont les consommateurs essaient de maintenir le revenu tout en améliorant leur propre mode d’approvisionnement. Le temps personnel libéré par le confinement confirme en effet très nettement la tendance générale, exprimée dans les nombreux témoignages reçus, à cuisiner davantage, à rechercher des produits frais, sains et de proximité. Si ces choix soutiennent nombre de producteurs, grâce à des initiatives individuelles ou collectives de distributions locales improvisées ou renforcées, elles mettent en tension certaines filières : la farine manque pour la préparation domestique du pain qui devient une pratique régulière, l’offre en fruits et légumes locaux se montre également limitée puisque avril est aussi une période « de césure » entre deux années productives pour les maraîchers. Pour tous les modes d’approvisionnement alimentaire, la montée en puissance de considérations sanitaires est un facteur clé dans le choix du lieu ou du mode d’achat (drive, commerce de proximité, achat direct à un producteur, livraison à domicile…). L'effectivité de mesures comme le port de masques, le respect de distance sociale ou le temps d’exposition renforce certains dispositifs d’approvisionnement dans un contexte de réduction des possibilités (par exemple fermeture de certains marchés ou épiceries). L’impact commence à se faire sentir avec des dispositifs alimentaires locaux qui voient leur fréquentation multipliée par trois voire même cinq, des constats de prix en augmentation dans certains circuits, des temps d’attente plus importants. Ce contexte s’accompagne d’une montée en puissance de la politisation de la question alimentaire (voir la rubrique 9), avec des interpellations des élus (suggestion de Projet Alimentaire Territorial dans des zones où il n’y en avait pas, proposition “Nourrir Lyon autrement”...), des manifestes (IPES Food, appel d’un groupe de seize membres de l’académie d’agriculture…), montage de groupes citoyens. Deux sentiments complémentaires s’expriment : d’un côté une certaine lassitude et de l’autre un appel à une réflexion sur l’après-crise, souvent pour proposer une réorganisation en profondeur du système alimentaire fondée sur la proximité. En parallèle, des organisations émergent pour comprendre les impacts alimentaires dans le cadre de la crise et les réponses associées. Pour garder en mémoire les événements, des acteurs de certains territoires, comme les îles de l’Atlantique, s’organisent progressivement avec des chercheurs pour comprendre les enseignements à travers une observation fine basée sur des témoignages et des retours d’expériences sur la durée. On observe une démultiplication d’opérations, pour le moment peu coordonnées, de suivi des évolutions du système alimentaire, parfois auprès de populations ou activités précises : Régions de France, grandes villes (France Urbaine en lien avec Résolis), chambres d’agriculture, Fédération des agriculteurs biologiques tentent par exemple de recueillir témoignages et données sur les enjeux agricoles et alimentaires à leur échelle. Le rôle des pouvoirs locaux incarnés par les élus et les maires en particulier s’affirme comme fondamental, ils retrouvent une marge de manœuvre. Le niveau communal est très sollicité autour de 2 grands thèmes : - la résolution de problèmes pratiques comme le secours alimentaire pour les familles à bas revenu - la question des marchés. Les territoires ruraux sont considérés par certains de leurs habitants mais aussi des urbains comme des espaces sécurisants et potentiellement dynamiques. Pour proposer de nouvelles observations cliquez ici. Présentation du Bulletin n°3 | Article suivant : Dans les foyers, la lassitude commence à se manifester
- Offre d'emploi CoopCircuits : support utilisateurs, communication, développement de la communauté
L'association Open Food France, membre du RMT Alimentation Locale, a accompagné la création de la SCIC CoopCircuits, qui va porter à partir de maintenant l'activité de mise à disposition en accès SAAS (software as a service) de la plateforme open source Open Food Network. La SCIC proposera aussi des services d’accompagnement et de formation pour les acteurs des circuits courts. L'association soutient ainsi la construction d'une plateforme coopérative permettant aux producteurs, transformateurs, distributeurs professionnels ou associatifs, de cogérer l'outil support de leur commercialisation en circuit court. Elle espère aussi contribuer à l'invention de modèles économiques vertueux en accompagnant la création d'un acteur économique coopératif du secteur "marchand", qui sera en mesure grâce aux revenus qu'il générera de réinvestir dans le commun qu'il utilise, le logiciel open source Open Food Network. Pour la mise en place des activités de CoopCircuits, la SCIC recrute une ou plusieurs personnes pour trois missions : - le support des circuits courts utilisateurs de la plateforme - la communication (construction du site internet CoopCircuits, lettres d'information, etc.) - le développement de la communauté d'utilisateurs de la plateforme et accompagnement des utilisateurs potentiels. Plus d'infos et lien vers l'annonce sur le blog d'Open Food France. Crédits Photos : Open Food France
- Atelier Praticiens -chercheurs, La concertation dans la mise en place des PAT - 06/07
Atelier Praticiens-Chercheurs, La concertation dans la mise en place des Projets Alimentaires Territoriaux Mise à jour : report au Lundi 6 Juillet 2020 à Lyon Les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) visent à mettre en cohérence les besoins, opportunités et contraintes des différents acteurs d’un territoire dans le champ de l’alimentation. Parmi les différents modes de participation pouvant être mis en œuvre pour atteindre cet objectif, la concertation invite les parties prenantes à co-construire une stratégie agricole et alimentaire pour leur territoire. Elle peut ainsi conduire à un meilleur ancrage du PAT dans le paysage local et à tisser de nouveaux liens entre acteurs. Cependant, il est nécessaire de s’interroger sur les conditions permettant aux processus de concertation d’aboutir à ces résultats. Organisé par COMEDIE (www.comedie.org), ce séminaire de réflexion et de production, à destination des porteurs de projets, accompagnateurs de démarches participatives et chercheurs, s’appuiera sur les expériences des participants dans leur diversité pour dégager collectivement des enseignements sur la mise en œuvre de la concertation dans les PAT. Comment la concertation est-elle menée ? Avec quels résultats ? Quels sont les leviers permettant la mobilisation de différents acteurs et leurs apprentissages ? Quels sont les freins à la co-construction de PAT ? Le séminaire visera à apporter des éléments de réponse en appui à l’élaboration d’un guide pratique sur la concertation pour les porteurs de PAT. Avec les interventions de : Frederic Wallet (INRAE-Agroparistech - membre du RMT Alimentation Locale), Fanny Crouzet (commune de Seyssinet-Pariset), Maud Simonet (commune de Seyssins) et Pauline Lattuca (ALEC Montpellier Métropole). Programme à venir Plus d'informations : http://www.comedie.org/les-rencontres/ Inscription gratuite mais obligatoire : https://forms.gle/W31NczcJ9zy1X9sz5 Contact : Marie Pagès-Gold, Union Régionale des CPIE AuRA Retrouvez les événements du RMT et de ses partenaires dans l'agenda du RMT. Vous pouvez nous faire part de vos actualités, événements ou offres d'emploi à l'adresse : animation@rmt-alimentation-locale.org