Dans cette première partie du bulletin conclusif, nous revenons sur les temps forts de la crise du covid-19 et plus particulièrement les éléments impactant notre alimentation. Nous proposons ensuite un retour sur les caractéristiques des répondants et les situations couvertes par les témoignages reçues. Nous revenons également sur les faits marquants de cette première phase d’enquête : l’importance prise par l’alimentation et la capacité des circuits alimentaires territorialisés à répondre à une explosion de la demande. Pour finir, nous faisons un bilan des initiatives inspirantes mises en place pendant le premier confinement qui nous ont été partagées.
Frise chronologique
Nous vous proposons une frise chronologique interactive pour revenir sur les temps fort de cette première phase d'enquête.
Cette frise permet de revenir sur les événements ponctuels ou longs entre mars et juillet 2020 avec des articles de presse, des vidéos, des manifestes...
Vous pouvez consulter cette frise en plein écran ici.
Caractéristiques essentielles des répondants et situations couvertes par l’enquête
Les presque 800 contributions reçues, après que nous ayons écarté celles qui sont brèves ou imprécises (par exemple “je suis allé faire mes courses”), ont été classées en 3 groupes :
le premier groupe rassemble des témoignages, où les contributeurs décrivent leur expérience personnelle, comme « je mange plus qu'avant », « je vais désormais faire mes courses dans la supérette du quartier », « je suis allé m'approvisionner dans une ferme » ou « je partage du pain avec mes voisins » ;
le second groupe concerne les récits qui relatent des actions, des déclarations observées à l'extérieur, chez des voisins, dans un lieu d'approvisionnement, lors d'une conversation avec un producteur, comme « je vois que mes parents mangent plus qu'avant », « la supérette du quartier est très fiable sur le plan sanitaire », « le producteur que j'ai rencontré est épuisé » ou « mes voisins se sont mis à faire et partager leur pain »
le troisième groupe comprend, les contributions mixtes qui associent les deux types précédents.
Sur les 606 contributions que nous avons traitées, 194 relèvent du témoignage, 251 du récit extérieur et 161 associent les deux. La proportion est variable au fil du temps. Au début (c’est le cas par exemple des 17 premiers dépôts), les personnes apportant un témoignage nous ont surtout confié ce qu’elles observaient en dehors, puis ont progressivement de plus en plus apporté des témoignages personnels.
Les témoignages
Sans surprise, ils parlent avant tout de l'univers domestique, pour les deux tiers d'entre eux. S'y adjoignent les voisins et amis pour plus d’un sur dix. L'horizon spatial de ces témoignages est centré sur le foyer pour plus de la moitié, et parle peu de ce qui est vécu en dehors. Cependant, la moitié mentionne des acteurs de la chaîne alimentaire, principalement les commerces et les agriculteurs (99 contributions sur les 194 mentionnent des lieux de distribution). L'information à en tirer reste toutefois limitée puisque les pratiques de ces acteurs ne sont pas décrites. Les lieux d'approvisionnement évoqués sont principalement les marchés, les hyper/supermarchés et les commerces spécialisés. La « crise des marchés » et la comparaison des ressentis sur la sécurité sanitaire, en dehors de faits observés, sont amplement abordés. Plus d’un témoignage sur cinq, enfin, relate les actions de jardinage ou d'auto-production.
Les récits
Ils décrivent « ce qui se passe à l'extérieur ». L'espace décrit est la commune dans plus de la moitié des cas, le quartier une fois sur cinq et l'intercommunalité (repérée par des textes comme « je suis allé au supermarché de la commune d'à côté », « il me faut vingt minutes de route pour aller dans la biocoop la plus proche») une fois sur sept. L'espace communal, parfois centré sur le quartier ou légèrement élargi, semble donc l'espace de référence pour la « vie alimentaire » de nos déclarants. Les auteurs de récits sont aussi les plus prolixes en discours généraux sur l'alimentation, qu'il s'agisse de la perception de différences de traitements entre acteurs, ou des inégalités entre pays, bien qu’ils restent rares.
Les lieux « vedettes » des récits sont les marchés de plein vent et les ventes à la ferme, fréquemment associés dans des déclarations comme « vu l'absence de mon producteur sur les étals qui restent sur le marché, je suis allé chercher mes légumes directement à la ferme ». Les autres lieux les plus fréquemment cités sont les supermarchés, les AMAP et les plateformes en ligne. Les récits comportent souvent des observations multiples : alors que le nombre de récits est de 251, on compte 407 mentions de lieux d'approvisionnement et seuls 11 récits n'en disent rien.
De quels acteurs les gens parlent-ils ? Principalement des acteurs non-agricoles (commerçants, membres d'associations), pour la moitié des déclarants, mais aussi des agriculteurs dans une proportion très voisine. Ce chiffre vient conforter l'analyse qualitative qui identifiait une grande attention au monde agricole (sans doute révélatrice de la sociologie des déclarants). Les récits sont les plus diserts sur l'action des collectivités ou pouvoirs publics puisqu'un sur six aborde le thème (contre moins d'un sur dix pour les deux autres catégories).
Sans surprise, cinq personnes sur six nous décrivent des faits observés dans leur environnement économique lié à l'alimentation : précautions sanitaires prises à la ferme, files d'attente au supermarché, réorganisation de l'AMAP…
Les déclarations mixtes
Elles rassemblent des traits observés dans les témoignages et les récits : cinq sur six parlent de l’environnement économique de l'alimentation, mais aussi un sur deux de ce qui se passe au foyer. Ces déclarations mixtes sont aussi de loin les plus complètes, puisqu'elles ciblent voisins et amis dans presque un cas sur cinq. Encore plus que les purs récits, elles cherchent à donner une vision synoptique de la situation : 442 mentions sont faites de lieux de distribution, pour 161 déclarations, soit en moyenne 2,5 lieux mentionnés dans chaque déclaration. Elles présentent l'intérêt d'expliciter les inter-relations entre ces lieux, de type « je préfère aller à la supérette de quartier, plus sûre que l'hyper » ou « le groupe de voisins qui s'est réuni pour aller faire les courses adresse désormais une commande collective à un producteur ». Presque autant que les purs témoignages, les déclarations mixtes parlent de jardinage et d'auto-production (une sur cinq).
Encore plus que les récits, les déclarations mixtes parlent des acteurs non-agricoles (plus de deux sur trois), du mouvement collectif de citoyens (associations ou groupements créés pendant la crise), à proportion de presque une déclaration sur trois, et toujours des agriculteurs. Les marchés, les ventes à la ferme, mais aussi les supermarchés et les magasins bio sont mentionnés dans des proportions voisines (une sur six ou sept) et c'est dans ce type de déclaration que les commerces spécialisés sont les plus présents. La taille du périmètre décrit vaut aussi en matière géographique, puisque ce sont ces contributions qui se situent le plus à l'échelle de l'intercommunalité, au détriment du quartier.
En résumé
La possibilité de s'exprimer a été utilisée selon des modalités très différentes par les déclarants. La formulation de l’appel, à commencer par le titre « manger au temps du coronavirus », ouvrait la porte à une sur-représentation des témoignages de consommateurs. En fait, les purs témoignages ne représentent qu'un tiers des déclarations recueillies. Ils se centrent sur l'univers domestique, en présentant l'expérience de mangeur du déclarant, aussi préoccupé par la reconfiguration des approvisionnements (à la ferme lors de la fermeture des marchés). Les récits, au contraire, nous décrivent majoritairement à l'échelle de la commune qui semble le lieu de la vie alimentaire en période de crise, les actions des participants économiques à la chaîne alimentaire : commerçants mais aussi très largement producteurs. Malgré la rareté de leurs déclarations directes, le monde de ceux-ci est donc largement documenté, bien qu'indirectement, par l'enquête. Nous pouvons résumer les grandes caractéristiques dans le tableau ci-dessous.
Caractéristiques des participants à l’enquête
Les contributions ont été produites par 451 participants à l’enquête. Ces personnes ont été recontactées au cours de l’été dans le but de mieux les connaître. Au final 255 personnes ont répondu au questionnaire complémentaire, soit 56% des participants.
Avec une moyenne d’âge de 45 ans (légèrement plus pour les hommes) et une amplitude qui s'étend de 22 ans à 84 ans, l’échantillon que nous avons pu caractériser apparaît comme relativement équilibré en termes d’âge. Il l’est en revanche moins en ce qui concerne le genre, puisque les deux tiers des participants sont des participantes.
La répartition des participants selon leur statut d’emploi fait apparaître une majorité d'employés en CDI ou fonctionnaires (43%) suivis des professions libérales et indépendantes (18%), des retraités (13%), des personnes en CDD (9,7%), des étudiants (4%) et des chômeurs (3%). Ces deux dernières catégories apparaissent comme sous-représentées au regard de leur part au sein de la population française, tout comme les retraités.
L’échantillon des participants est en moyenne très diplômé, plus de 60% ont un niveau bac +5 et plus de 84% disposent d’un niveau Bac+2 et plus, soit 4 fois plus que la population française. La moitié de l’échantillon a un statut de cadre, soit trois fois plus que la population française et vit au sein d’un foyer dont les revenus sont supérieurs à 2 300€ par mois, ce qui est également supérieur au revenu médian des ménages dans la population française.
Les participants vivent au sein de ménages variés : si 12,5% d’entre eux vivent seuls, 55% vivent avec un conjoint, 40% avec des enfants et 8% sont en colocation. Les personnes seules sont donc légèrement sous-représentées, au contraire des foyers avec enfants qui ne représentent que 28% des ménages au sein de la population française selon l’Insee.
La plus forte surreprésentation est sans doute celle des personnes inscrites dans les circuits alternatifs de distribution alimentaire. Avec 30% de l’échantillon appartenant à une AMAP ou à un groupement d’achat alimentaire, alors que l’on peut estimer à moins de 1% la part des ménages recourant à ce type de circuit en France, nous sommes clairement face à des participants qui s’engagent dans leur consommation alimentaire. On observe également que seuls 36% des participants fréquentent la grande distribution (hypermarché, supermarchés, supérette et drives), ce qui est deux fois inférieur à la part des Français qui fréquentent ces magasins.
Ainsi la population des participants à l’enquête pourrait être considérée comme peu représentative de la population française, notamment en ce qui concerne la part des femmes, la part des personnes très diplômées et la part des personnes inscrites dans les circuits alimentaires alternatifs. La surreprésentation des femmes parmi les répondants des enquêtes sur l’alimentation est un phénomène largement observé qui s'inscrit dans la division du travail domestique dans notre société, les femmes prenant en charge plus souvent que les hommes les tâches d’approvisionnement alimentaire et de préparation des repas. La sous-représentation des personnes peu diplômées et des pauvres est un biais fréquemment observé dans les enquêtes auto-administrées en ligne. Enfin la surreprésentation des participants insérés dans les systèmes alternatifs peut être imputée au mode de recrutement des participants à l’enquête, qui s’est principalement appuyé sur une diffusion dans les réseaux professionnels des chercheurs impliqués dans le projet.
Toutefois, 44% des répondants à l’enquête n’ont pas répondu au questionnaire complémentaire visant à les caractériser si bien que ces surreprésentations restent à confirmer. De plus, bien que ces différents biais possibles aient sans doute contribué à invisibiliser une partie des pratiques et des activités sociales déployées durant la période de confinement autour de l’alimentation, l’approche participative de l’enquête - visant non seulement à recueillir des témoignages sur l’expérience personnelle, mais aussi et surtout des récits que les participants pouvaient faire au sujet des systèmes alimentaires dans lesquels ils étaient insérés - a permis d’obtenir des descriptions sur une très grande variété de situations, allant des champs des producteurs jusqu’aux magasins discounts ou de la simple solidarité de voisinage jusqu’aux actions des associations d’aide alimentaire et des collectivités locales. De plus, une large revue de presse est venue confirmer une grande partie des tendances identifiées à travers l’enquête.
L’importance de l’alimentation et
des circuits courts en temps de crise
L'ensemble des contributions permet de souligner deux faits particulièrement marquants :
l'importance prise par l'alimentation, dans toutes ses dimensions (sanitaire, hédonique, sociale, relationnelle, économique,…), laissant présager que les régimes alimentaires n’en sortiront pas indemnes;
la capacité des circuits alimentaires territorialisés à répondre quasi-instantanément à une explosion de la demande, conjuguant croissance du nombre de clients et augmentation du panier moyen. La réponse a reposé sur le renforcement des dispositifs existants et l’éclosion de nouveaux dispositifs.
De façon plus analytique, ceux qui nous ont écrit convergent sur de nombreux points.
1 - le déploiement d'une forte créativité pour des innovations tous azimuts. Cette créativité s’est exprimée partout : consommateurs entre eux, producteurs qui créent un réseau de livraison ou font aboutir un projet qui piétinait, commerces de bouche qui adaptent leur réseau de fournisseurs, collectivités qui allouent des lieux de livraisons ou montent des circuits d’aide alimentaire. Ces innovations sont parfois assumées comme réponse temporaire à la crise, d’autres pourraient être institutionnalisées et perdurer ;
2 – une boussole orientée vers la mise en place de solidarités. Les contributions décrivent majoritairement des solidarités de proximité : entre voisins, à l’échelle d’un quartier ou d’une commune, entre consommateurs et producteurs. Elles se construisent par l’action (magasin de producteurs qui accueille un collègue en difficulté, cuisine centrale pour l’aide alimentaire, livraison à des personnes âgées ou isolées), en incluant la sociabilité (échanges de recettes, de levain, de plats préparés). Ce déploiement de solidarités semble spécifique à l'alimentation, alors qu'une étude de l'INED sur les solidarités en général pendant la période du confinement ne discerne pas plus de services rendus entre voisins qu'à l'ordinaire (INED, juin 2020. Comment voisine-t-on dans la France confinée ? Population et société n°578.) ;
3 - l'agilité de la chaîne logistique. Les chaînes logistiques longues ont globalement bien résisté à la crise, un mouvement social chez les opérateurs du transport ayant avorté. A cause de l'intensification de l'approvisionnement local, la logistique du premier(1) et du dernier kilomètre(2) a été mise à l’épreuve (temps passé par les producteurs sur la route et dans les points de distribution). Ce constat invite à renouveler les chantiers sur ce thème, évoqué avec insistance depuis plus de 10 ans, et lié au changement climatique ;
4 – la polarisation des pratiques alimentaires. L’impact de la crise sur la relation des consommateurs à l’alimentation a été profond. Le confinement, la fermeture des restaurants et des marchés, les précautions dans les commerces ont vite affecté leurs habitudes. Certains ont cherché à les changer le moins possible, pendant que d’autres profitaient de la crise pour expérimenter de nouvelles pratiques, contraintes ou volontaires. Cette polarisation a été favorisée par la recomposition des ménages, avec par exemple l'arrivée d’enfants chez leurs parents. Augmentation du temps de repas, sociabilités autour de l’alimentation, autoproduction (pain, jardinage et micro-élevage), partage (recettes, levain, semences) ont marqué la période. Des apprentissages ont été acquis, et leur maîtrise permettra par la suite de conserver certaines nouveautés. Mais le retour des injonctions professionnelles contraindra les habitudes développées ;
5 - la polarisation des modes d'approvisionnement. Pendant que certains consommateurs se repliaient sur les supermarchés ou supérettes, par commodité, pour la sécurité sanitaire ou pour le prix, d'autres s'orientaient vers le local, pour les mêmes raisons. Les usages culinaires se sont adaptés aux réponses des ménages pour l'approvisionnement plus qu'ils ne les ont déterminées. Des démarches actives ont été engagées, comme le développement du jardinage. Différents modes de distribution se sont renforcés : les drives (présentés comme efficaces et hygiéniques) et les distributions en paniers pré-commandés (inspirés des AMAP et adoptés par les stands de primeurs, ou à la ferme), les commerces de proximité en ville. Beaucoup parlent de la découverte ou redécouverte de dispositifs de distribution inhabituels, notamment en circuits courts. Pour ne pas rajouter une menace alimentaire à celles du virus, le local est ressenti comme un indice de qualité. Certains consommateurs se sont lancés dans l’achat groupé. Pour d’autres, l’approvisionnement local a été vu à la fois comme un moyen pratique, transparent et sûr pour faire ses courses ;
6 – les usages variés du numérique. Les sites de commande par internet avant livraison se sont multipliés pendant la crise. Mais des solutions à partir d'outils basiques (sms, page Facebook, tableau en ligne) ont aussi émergé, à la demande de producteurs peu à l'aise avec le numérique qui devaient compenser des ventes devenues impossibles (marchés).
7 – la reconsidération du poids relatif des modalités de vente en circuits courts. L'effacement temporaire des achats des restaurants et de la restauration collective n’a pas généré de problème majeur. L’accroissement de la demande des particuliers et des commerces a facilement compensé la perte de ce marché, sauf pour les fournisseurs spécialisés. L’affirmation qui présente les achats des restaurations collectives comme pivot de la santé économique de l’agriculture de proximité est infirmée par l’expérience. La fermeture des marchés a eu des effets plus intenses. Le marché a été réhabilité dans son importance économique et sociale, défendue par toutes les organisations agricoles comme une urgence. Mais la plupart des producteurs ont trouvé des compensations, signe de résilience de la production de proximité, quand elle passe par une multiplicité de canaux. La puissance de l’engagement de la société civile a été déterminante par rapport aux politiques publiques ;
8 – la diversité individualisée des réponses sanitaires. Les témoignages montrent que ce sont avant tout des décisions à l’échelle des ménages et des unités économiques (de production, de transformation, de vente) qui déterminent l’efficacité sanitaire ressentie. Pour le même type de distribution (marché, ferme, GMS), les appréciations sont très divergentes. Certaines « bonnes pratiques » se sont diffusées très rapidement (distribution au panier, espacements de sécurité, « marche en avant » des acheteurs). L’enquête montre que les dispositifs de circuits courts, à l'image des AMAP, ont été particulièrement vigilants craignant d’être, plus que les autres, la cible de critiques en cas de manquement.
9 - la place de l’alimentaire dans les budgets des ménages. Les consommateurs signalent parfois une hausse des prix quand les courses sont faites dans le lieu habituel. Peu de choses ont été dites sur le différentiel quand les gens découvrent d'autres sources, à part ceux qui y trouvent confirmation de leurs jugements antérieurs (supérette de quartier plus chère que l'hyper) ou s'étonnent (par exemple de trouver des prix compétitifs dans les fermes). Les arbitrages entre capacités financières et « objectifs de crise » (assurer la sécurité sanitaire, manger plus sain, maintenir ses habitudes, expérimenter, se faire plaisir…) ont été difficiles, surtout vers la fin du confinement. Des ménages ont repensé leur budget alimentaire. Quand le confinement a augmenté les effectifs du foyer, les dépenses ont augmenté mécaniquement. Le recours à des aliments jugés « sains » (pour ne pas rajouter une menace) ou commodes (supérette de quartier qui limite les déplacements) est décrit comme un « bon investissement » de crise. Sur la fin de la période, des ménages ont « plongé » sous la ligne de détresse alimentaire, par perte de revenus ou augmentation des dépenses (par exemple pour des familles dont les enfants accédaient gratuitement à la cantine). Ces personnes constituent de nouveaux publics pour les organisations de l'aide alimentaire, dont ils ne connaissent pas les codes ;
10 - la réinterprétation des mots « proximité » ou « local ». Avant la crise, le terme « proximité » était utilisé pour désigner un mode d’approvisionnement alimentaire centré sur la provenance des produits. Pendant la crise on a parfois assisté à un glissement de sens qui a conduit à l'utiliser pour les lieux de distribution les plus proches, donc moins risqués et plus dynamisants pour la vie de quartier ;
11 - le rôle des pouvoirs locaux. L’échelon communal a joué un rôle fondamental, décisionnel et opérationnel, dans les réponses à la crise : maintien ou pas des marchés, habilitation des lieux de distribution, surveillance des mesures sanitaires, réorganisation de l’aide alimentaire, fermeture ou réaffectation des restaurations collectives. Le rôle du maire a été mis en lumière par rapport aux intercommunalités, en raison des compétences dévolues aux communes et de leur proximité avec « le terrain ». Les relations avec l'Etat et ses services, conflictuelles ou constructives, ont été nombreuses, comme le montre l’exemple des marchés. Des débats ont été lancés sur le rôle stratégique des collectivités, en interrogeant notamment les Projets Alimentaires Territoriaux, et les enseignement à tirer pour l’avenir.
12 – les interrogations sur la pérennité : demain c’est tout de suite. Des habitudes et des organisations d'intérêt collectif sont apparues avec la crise, sur un principe de solidarité. Certaines initiatives assument d’être temporaires, le temps de passer la crise. D’autres au contraire ont vocation à perdurer, soit parce que la crise a simplement eu un effet déclencheur sur des envies latentes, soit parce qu’elle a éveillé l’intérêt sur certaines pratiques expérimentées pendant la période de confinement. Les solidarités de quartier passeront-elles la cap de l'institutionnalisation ? Les habitudes culinaires développées pendant le confinement résisteront-elles au retour du temps contraint ?
(1) de la ferme jusqu'au lieu de groupage des produits (2) du lieu de distribution ultime jusqu’au domicile des mangeurs
Des solutions multiples, nées de toutes parts, pour assurer l’alimentation des Français
Cette partie est destinée à faire le bilan des initiatives positives qui ont été mises en place pendant le confinement et nous ont été partagées.
Les solutions partagées dans ce bulletin couvrent trois grands objectifs : aider les producteurs à écouler leurs productions et les consommateurs à accéder facilement aux denrées alimentaires, assurer la sécurité sanitaire de la vente aux consommateurs, aider les plus vulnérables à se procurer leur nourriture.
1) Des actions pour trouver de nouveaux débouchés aux producteurs et fournir des consommateurs inquiets
Développement de nouveaux modes de distribution
Pour gérer le surplus de marchandises et limiter le gâchis, des producteurs qui fournissaient habituellement les restaurants et la restauration collective se sont très vite tournés vers des systèmes de paniers, à livrer au domicile des particuliers ou à des commerçants ayant besoin d’approvisionnements.
Beaucoup de producteurs locaux et d’AMAP ont proposé des systèmes de commande en ligne avec récupération des courses à la ferme ou des systèmes de Drive avec livraison à domicile. Des épiceries itinérantes ou des ventes ambulantes de produits bio et locaux se sont aussi mises en place. Certains dispositifs ont été créés ex-nihilo, d’autres étaient en gestation et la crise a servi d’accélérateur pour les faire aboutir.
Des entreprises se sont proposées pour aider des producteurs à organiser la logistique de leurs tournées de livraisons.
Des citoyens bénévoles, des associations, des collectivités ont proposé leur aide à des producteurs en manque de main d’œuvre pour effectuer des livraisons collectives de paniers commandés ou à servir de relais pour vendre leurs produits à leurs voisins.
Producteurs et consommateurs ont mis au point des stratégies logistiques permettant de diminuer le nombre et la durée des trajets destinés aux livraisons : des voisins se sont organisés entre eux pour faire des commandes groupées, et des producteurs pour regrouper leurs livraisons dans un seul camion.
Les réseaux sociaux ont été utilisés par des personnes qui ne les utilisaient pas, ou pas à cette fin, afin de partager ces nouvelles méthodes d’approvisionnement et écouler la marchandise rapidement. Des collectivités, de tous niveaux, ont ouvert des répertoires de producteurs locaux à destination des consommateurs (certains étaient renseignés de façon participative). D’autres cartes participatives ont été proposées directement par des particuliers, associations ou entreprises.
Certains producteurs se sont organisés avec les commerces locaux pour venir y vendre leurs produits. Des magasins d’enseignes de la grande distribution ont aussi fait ce geste ou ont renforcé leur approvisionnement auprès de producteurs locaux.
Des épiciers, des restaurateurs, des commerçants de bouche ont joué le rôle de point de distribution pour des producteurs locaux. Certains comptent d’ailleurs continuer.
Devant l’affluence de la clientèle, des supérettes, mais aussi des AMAP ou des dispositifs de commande-livraison, ont mis en place un système de rationnement pour que tout le monde puisse avoir accès à certains produits. Certains ont plafonné le nombre de clients pour conserver leur niveau de qualité du service et des produits.
Des restaurants, cantines et cuisines centrales ont mis en place des initiatives solidaires pour revendre leurs denrées et réduire le gâchis alimentaire (ventes à prix cassés, redistribution aux employés, dons à l’aide alimentaire, à des AMAP ou à des coopératives de consommateurs).
Des équipements publics (cuisines centrales) ont été réorientés vers la production de repas au bénéfice des personnes précaires (ménages à bas revenus, habitants de la rue…).
Des changements de comportements de consommation
D’abord, les habitués des circuits courts (tels que les consommateurs en AMAP), puis les consommateurs plus novices, et enfin leurs voisins, leur entourage, ont fait attention à consommer des produits locaux en soutien aux producteurs. La période a en outre permis de promouvoir les circuits courts comme éléments de résilience.
Pour certains, le confinement, mais aussi les difficultés économiques, ont provoqué une réflexion sur l’alimentation, qu’il s’agisse du budget consacré, du gaspillage ou de la qualité des produits.
Les citoyens se sont davantage tournés vers l’auto-production, pour tous ceux en capacité de produire chez eux. Certains ont fait leur propre pain, d'autres se sont remis davantage à la cuisine et ont commencé à partager leurs productions culinaires à leurs amis et voisins. Ces pratiques relevaient d’une volonté de gagner en autonomie alimentaire. De nouvelles compétences ont été acquises dans le champ de la cuisine.
Certains ont mis en place des groupes de partage de recettes, de graines, de levain, de proximité, en famille ou par les réseaux.
Des aides citoyennes dans les champs ?
Face à la capacité de récolte brutalement limitée pour les producteurs suite au blocage à la frontière des travailleurs étrangers, certains citoyens ont proposé leur aide dans les champs via la plateforme « Des bras pour ton assiette » à l’initiative du Ministère de l’Agriculture. Le nombre de travailleurs qui ont réellement apporté leur aide par l’intermédiaire de cette plate-forme est demeuré faible. Les coups de main ponctuels à l’échelle locale ont été limités par les interrogations sur les protocoles sanitaires.
2) Réorganisation des modalités de vente
pour se protéger de la Covid 19
Les livraisons et systèmes de Drive se sont largement développés au niveau de la grande distribution sur demande des consommateurs qui souhaitaient limiter leur exposition par précaution sanitaire.
De nombreuses actions spontanées, à l’initiative des producteurs puis d’autres acteurs locaux, ont été mises en place pour garantir la sécurité de tous sur les lieux de vente en circuits courts : service par les personnes du stand, mise en place de marquage au sol pour les files d’attente, proposition de créneaux spécifiques pour les personnes fragiles, pour le personnel soignant, limitation du temps d’attente par la réalisation de paniers, etc.
Des collectivités ont mis du personnel à disposition pour veiller au respect des protections sanitaires. Ces “surveillances” ont été bien acceptées, voire ont été demandées, par les vendeurs et les acheteurs.
3) Solidarité vis-à-vis des personnes vulnérables
(les personnes âgées, isolées, sans ressources)
Portage des courses pour ceux dont la santé est plus fragile
Beaucoup de citoyens ont proposé leur aide à leurs voisins fragiles en profitant de leurs courses pour faire les leurs. Le voisinage s’est montré propice à la solidarité et l’existence d’une petite communauté, formée autour d’un village, a semblé rendre plus facile le recensement des difficultés et des personnes qui avaient besoin d’aide.
L’action sociale privée (associations de quartier, circuits d’aide alimentaire tels que le Secours Populaire et le Secours Catholique) s’est aussi réorganisée en urgence pour tenter d’ajuster les modalités de l’aide alimentaire aux contraintes du confinement, d’organiser des portages de repas ou des livraisons collectives au domicile des personnes fragiles. La Croix-Rouge française a également lancé un dispositif d’aide psychologique, d’écoute, et de livraison solidaire pour les personnes vulnérables en situation d’isolement social.
Des communes ont parfois directement proposé leur aide pour un service de portage des courses aux personnes âgées qui ne reçoivent pas d’aide et ne peuvent pas sortir. Elles appelaient directement ou mettaient à disposition un numéro. Beaucoup ont mobilisé les ressources des CCAS pour mettre en place des dispositifs de secours alimentaire. Nombre d’élus ont directement participé à ces secours, et ont été en contact avec les personnes concernées.
Des institutions se sont également mobilisées, comme l’AGIRC-ARRCO qui propose un service de courses destiné aux plus de 75 ans.
Aide alimentaire aux personnes les plus précaires (sans abris, sans ressources)
Des initiatives destinées aux sans-abris se sont mises en place. Par exemple à Rennes, la Ville a pris l’initiative de produire et livrer des repas dans des lieux d’hébergement pour les sans-abris dans certains quartiers de la ville ou de préparer des kits alimentaires dans des cantines pour les distribuer à des personnes en situation de grande précarité. Des associations ont également mis en place des maraudes.
L’ONG « Pour eux Lille » a proposé de cuisiner un repas supplémentaire à la maison, de l’indiquer sur leur plateforme afin que des volontaires viennent le chercher et le redistribuent à ceux qui en avaient le plus besoin.
Les ONG historiques d’aide alimentaire (Secours Populaire, Secours Catholique, Croix Rouge...) ont distribué des paniers aux plus précaires et leur ont donné accès à des banques alimentaires, souvent en collaboration avec des associations d’aide alimentaire plus petites.
Des aides financières pour les plus démunis
Des CROUS ont mis en place des programmes d’aides financières d’urgence pour les étudiants en détresse alimentaire et sociale. Le collectif citoyen “Solidarité Continuité alimentaire Bordeaux”, monté dans l'urgence, a mis en place une cagnotte pour les étudiants en détresse alimentaire, ce qui a permis d’acheter des denrées alimentaires et sanitaires, et de préparer des colis ensuite livrés à leur domicile.
L’Etat a renforcé son plan d’aide de financements. Des collectivités se sont aussi mises à la manœuvre. Les communes et intercommunalités ont mis en place des dotations financières ou des sortes de “bons d’achat” pour compenser les dépenses supplémentaires supportées par les familles à faible revenu dont les enfants ne pouvaient plus manger à la cantine gratuitement ou à coût réduit. Par exemple à Brest, certaines familles qui bénéficiaient, à la cantine, de la gratuité ou du tarif de la tranche la plus basse, ont pu bénéficier d’une aide financière sous forme de chèque alimentation.
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