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Éclairage Covid-19 | Impact sur les exploitations et filières agricoles des îles de l’Atlantique

Les îles, havres de tranquillité épargnés par la crise du coronavirus ? Pas si sûr pour les agriculteurs insulaires !


Pour savoir de quelle manière ceux-ci ont été impactés par les mesures de confinement, et ont adapté leur activité, le Réseau agricole des îles atlantiques (RAIA) a réalisé une série d’enquêtes téléphoniques au cours du mois d’avril auprès d’agriculteurs et de différents acteurs des filières agricoles insulaires. Les témoignages recueillis ont servi à élaborer la note qui suit, présentant les conséquences à ce jour de la crise et les enseignements à en tirer pour l’avenir.


 

Le RAIA est une association qui regroupe des agriculteurs, des citoyens et des élus dans l’objectif de faciliter le maintien et le développement d’une agriculture durable dans les îles de la façade atlantique française, en région Bretagne et dans les départements de Vendée et de Charente-Maritime. Ses membres se répartissent sur les îles de : Bréhat, Ouessant, Sein, Groix, Belle-Ile-en-Mer, Hoëdic, Arz, Yeu, Noirmoutier, Ré, Aix et Oléron. La note a été rédigée par Mary-Anne Bassoleil, animatrice du RAIA.

 

Cette synthèse peut également être consultée sur le site internet de l’association : https://raia-iles.fr/


Activité agricole 


En ce qui concerne les travaux prévus normalement pour cette saison, les principales difficultés exprimées sont liées à la perturbation des services de transport maritime. En effet, le nombre de dessertes quotidiennes a été réduit pour la majorité des îles (en moyenne, les 2/3 des trajets ont été supprimés).


Dans certains cas, les produits indispensables à l’activité commandés par les producteurs n’ont pas pu passer sur le bateau, car considérés comme non prioritaires : plants maraîchers, engrais. Néanmoins, l’adaptation progressive de la législation (plans et semences considérés ultérieurement comme de première nécessité) et la négociation avec les sociétés de transport ont permis de résoudre ces difficultés.


Les difficultés persistent néanmoins dans le cadre des déplacements nécessaires à la réparation du matériel agricole, car il n’y a pas de concessionnaires sur les îles.





Trouver de la main d’œuvre saisonnière n’a pas présenté de difficulté majeure, des saisonniers étaient déjà arrivés au mois de mars et la main d’œuvre est pour partie locale. Pour les agriculteurs qui faisaient habituellement appel à des stagiaires et dont les stages ont été annulés, la charge de travail s’est alourdie. Le temps de travail d’encadrement des salariés est multiplié par les mesures sanitaires mise en place sur les exploitations.


Dans l’ensemble, les travaux agricoles (plantations, semis…) prévus pour cette période ont été réalisés.


Les travaux de construction ou d’aménagement ont en revanche pris beaucoup de retard, la plupart des entreprises réalisant ces travaux étant fermées. Cette situation est extrêmement pénalisante dans le cas des installations en cours, pour lesquelles le démarrage de l’activité dépend de l’arrivée du matériel commandé et de travaux de construction spécifiques (laboratoire de transformation, serre…). Dans ces cas-là, les difficultés sont aggravées par les retards administratifs (obtention de crédits), l’absence de clientèle déjà établie et l’impossibilité de commercialiser auprès d’une clientèle touristique.



 

Ces constats nous alertent sur la nécessité de :

- Soutenir spécifiquement les agriculteurs en cours d’installation dans les îles, dont l’établissement est particulièrement délicat (Loi Littoral, coût du foncier…) et néanmoins crucial pour le renouvellement des générations d’agriculteurs et le maintien d’une certaine autonomie alimentaire dans les îles.

- Faire reconnaitre, pour l’avenir, la spécificité des produits nécessaires à l’exploitation agricole, au même titre que les produits alimentaires, dans les documents qui régissent les dessertes maritimes entre les îles et le continent.

 


Accès au marché pour les productions insulaires


Plusieurs tendances distinctes se dégagent selon le type de production et le mode de commercialisation habituel (vente directe, filière mixte ou longue) :

Pour les productions maraîchères, la crise intervient à une période de soudure entre les légumes d’hiver et d’été : il y a relativement peu de volume à la vente si l’on compare aux productions estivales. Toutes les personnes enquêtées réussissent pour le moment à commercialiser l’intégralité de leur production en frais.





En élevage, la situation va rapidement se détériorer. Pour la plupart des éleveurs bovins ou ovins, la nécessité de transporter les animaux sur le continent pour l’abattage et la découpe de la viande est complexifié par le faible nombre de dessertes (sauf pour les îles à pont). A Belle-Ile-en-mer, par exemple, le camion de transport des bovins ne fait pas partie des véhicules prioritaires sur le bateau. De plus, certains débouchés ont disparu : fermeture d’une partie des marchés au cadran où sont vendus en vif les veaux, les jeunes bovins et une partie des vaches de réforme. En élevage ovin, les lots d’animaux qui devaient être vendus en vente directe pour la période pascale ont pu l’être pour partie, mais ils ne constituent qu’une faible part du total des animaux produits pour la saison estivale.


Les éleveurs concernés gardent les animaux pour l’instant, mais cela occasionne des surcoûts importants notamment en termes d’alimentation animale.


Pour les agriculteurs réalisant de la vente directe, individuelle ou collective, le constat de l’apparition de nouveaux clients est unanime. L’arrivée de résidents secondaires ou des familles de résidents permanents en début ou en cours de confinement a créé une clientèle supplémentaire, même si les agriculteurs relativisent les annonces faites par la presse d’arrivées « massives ». Les avis sont cependant mitigés sur la pérennité post-confinement de cette clientèle.


Les agriculteurs qui commercialisent via des filières longues très structurées, pour lesquelles le transport a été peu impacté, font état de « très peu de changement » :

  • filière lait à Belle-Ile-en-Mer : le camion de lait fait partie des véhicules prioritaires sur le bateau, et pour l’instant la laiterie n’a pas demandé de diminution de production,

  • filières légumières de Batz : le service de la barge transportant le fret est globalement maintenu, et les grossistes du continent qui se chargent d’écouler les produits semblent trouver des débouchés assez facilement en GMS et magasins bio,

  • la filière pomme de terre à Noirmoutier : la coopérative a continué son activité, le confinement intervenant pendant les deux mois que dure la saison des pommes de terre primeur,

  • filières sel sur les îles de Ré et Noirmoutier : les ventes des coopératives se maintiennent grâce à la demande de la grande distribution.


Des baisses de prix sont cependant déjà apparues (pommes de terre primeur de Noirmoutier) ou annoncées (filière lait). Les produits bio tirent leur épingle du jeu, car la demande en produits alimentaires bio a augmenté depuis le début du confinement.


Les producteurs réalisant de la vente directe auprès d’une clientèle touristique saisonnière sont très fortement impactés : c’est le cas des sauniers indépendants sur l’île de Ré, et des viticulteurs réalisant de la vente directe (hors coopérative) à Ré et Oléron.


 

Ces témoignages nous alertent sur :

- La nécessité d’un appui financier complémentaire post-crise pour les producteurs dont le cycle d’exploitation et la trésorerie seront obérés sur une année complète, du fait de la forte saisonnalité de leur activité.

- L’importance de travailler à la mise en place d’équipements permettant de transformer et commercialiser les produits bruts sur les îles pour limiter la dépendance au transport.

 

Stratégies d’adaptation


A court terme

Les modalités de commercialisation se sont déjà adaptées afin d’appliquer les mesures sanitaires. Ainsi, la livraison de paniers à domicile est un débouché qui a pris beaucoup d’ampleur. Les systèmes de pré-commande par internet connaissent un grand succès. Des parcours de vente adaptés ont été mis en place dans les points de vente collectif et à la ferme. Enfin, le recours aux réseaux sociaux est important : il s’appuie sur des structures préexistantes (par exemple, le « Forum de discussion Belle-Ile », un groupe Facebook qui regroupe une partie de la population belliloise) et permet de communiquer facilement sur les nouvelles modalités de commercialisation.


Ces changements dans l’organisation logistique quotidienne génèrent une augmentation importante du temps de travail affecté aux tâches de préparation des produits et des commandes, ainsi qu’à la livraison.


A moyen terme

Les interrogations des producteurs sont vives sur la conduite à tenir pour les mois qui viennent.


En ce qui concerne la production à proprement parler, la majorité des agriculteurs n’a pas arrêté sa décision sur la stratégie à adopter, car les incertitudes et l’anxiété se cristallisent autour de l’existence ou non d’une réelle saison touristique cet été.


Des arbitrages sont déjà réalisés sur l’embauche ou non de salariés en juillet et août : se passer d’une embauche, surtout si les ventes restent faibles, permettra de limiter les charges. D’autant qu’avec l’arrivée de la saison estivale, de grandes quantités de produits vont se retrouver à vendre en même temps : s’il y a peu de clients, les prix vont baisser.


En ce qui concerne la commercialisation, la plupart des agriculteurs en vente directe n’ont pas encore pris position pour rechercher des débouchés complémentaires. En effet, la mobilisation de nouveaux débouchés interroge sur leur maintien ultérieur : pourra-t-on « laisser tomber » dans quelques mois des structures qui ont dépanné pendant la crise, mais auxquelles le recours est plus complexe (magasin bio VS vente à la ferme).


En ce qui concerne les mesures de soutien, les agriculteurs sont globalement défavorables à des mesures type avances remboursables ou report de cotisation, qui ne feront « qu’alourdir la facture dans quelques mois, alors qu’il n’y aura toujours pas de trésorerie ». La mesure qui semble la plus adaptée est le décalage sans frais des mensualités des crédits en cours.


 

Ces constats nous alertent sur la nécessité de :

- Négocier dès maintenant des tarifications spécifiques de transport pour l’export de production agricole, afin de faciliter la mise en marché sur le continent pour les agriculteurs impactés par la perte des débouchés saisonniers,

- Faciliter, par un appui politique et institutionnel, le report des échéances de crédit par les organismes bancaires, pour les agriculteurs qui le solliciteraient.

 

Solidarité et soutien politique


La crise encourage les solidarités entre agriculteurs. Le point de vente collectif de Belle-Ile a ainsi pris l’initiative de proposer des produits d’agriculteurs ou commerçants non-membres. A Oléron, les producteurs membres de l’association MOPS (Marennes Oléron Produits Saveurs) partagent leur production pour pouvoir répondre à la demande des clients et que les paniers proposés soient plus attrayants. Néanmoins, ces solidarités se construisent autour de collectifs existants.


Par ailleurs, certains commerçants ont proposé des produits locaux dans leurs rayons. A Oléron, un directeur de GMS a écoulé la production maraîchère d’un agriculteur ayant perdu ses débouchés en restauration commerciale. A Belle-Ile, une supérette ne pouvant plus être approvisionnée pour certains produits laitiers via le continent a intégré des productions locales dans ses rayons et a découvert les producteurs locaux par la même occasion.


Enfin, les élus insulaires ont dans l’ensemble montré de la bonne volonté pour défendre auprès des préfets le maintien ou la réouverture des marchés couverts ou de plein vent, permettant aux agriculteurs concernés d’écouler leur production. Les marchés sont donc maintenus, avec parfois des horaires réduits, sur la quasi-totalité des îles. Certains élus ont également incité les habitants à s’approvisionner localement via la presse et les réseaux sociaux, voire, dans certains cas, se sont mobilisés pour faciliter le transport des produits indispensables à l’activité agricole.

Néanmoins, l’absence de concertation pour la mise en place des horaires aménagés de bateau, ainsi que la difficulté pour les agriculteurs à trouver un interlocuteur dans les communes pour lesquelles les élections n’ont pas pu être finalisées, créent des difficultés.


 

Cela souligne l’importance d’encourager ou de mettre en place dans les îles :

- des démarches agricoles collectives, conduites en concertation avec les élus locaux au sein de projets à dimension territoriale,

- des circuits courts et de proximité pour l’approvisionnement alimentaire insulaire.

 


Bilan


En dehors des installations de jeunes agriculteurs qui sont fortement impactées par la crise, et de certaines filières spécifiques (viande, sel, vignerons indépendants), les agriculteurs enquêtés sur les îles ont pu pour le moment s’adapter à la situation. Le début du confinement est intervenu dans une période à laquelle le volume des productions à écouler est relativement faible.


Des baisses de chiffre d’affaires sont toutefois déjà signalées, et les inquiétudes sont vives quant à la saison estivale à venir, qui représente la majeure partie du chiffre d’affaire annuel en vente directe. Pour certains, la situation risque de se compliquer rapidement à partir de la fin du mois d’avril. A ce jour, les agriculteurs ont très peu de visibilité sur la stratégie à adopter, et la plupart espèrent ne pas avoir à faire face à un « scénario pessimiste » dans lequel la totalité de la saison serait remise en cause.


Les activités qui pâtissent le moins de la situation sont celles installées depuis longtemps, autonomes (peu d’intrants, transformation sur place) et avec des débouchés réguliers sur l’année.


Il est crucial de mettre en œuvre, dès maintenant, des moyens permettant d’assurer rapidement l’évolution des exploitations et filières agricoles insulaires vers davantage d’autonomie et de résilience.


 

Crédits photos : RAIA

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