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Bulletin de partage 3 - Des agriculteurs sous tension

La réorganisation majeure imposée aux dispositifs de distribution se répercute sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. Les agriculteurs doivent faire face dans l’urgence à la réorganisation de leurs débouchés. Certains domaines suscitent des inquiétudes comme les filières longues en production animale et en fruits et légumes. A l’échelle locale, les producteurs orientés vers les circuits courts sont sur-sollicités et doivent arbitrer leur temps et leurs productions entre une réponse à la demande immédiate démultipliée et l’anticipation de leur saison productive.

 

Filières longues, industrie


Au cours de cette quinzaine, la presse a relayé significativement des alertes sur les répercussions du confinement sur l’organisation des filières alimentaires industrielles. L’enjeu de la main-d’œuvre saisonnière migrante à remplacer a d’abord mobilisé le devant de la scène, avec deux types d’informations : l’appel à des volontaires nationaux à travers l’opération « des bras pour ton assiette » lancée par le Ministère de l’agriculture à la demande du syndicat agricole majoritaire, initiative qui a reçu bien plus d’offres de volontaires (240 000 environ) que d’offres d’emploi des agriculteurs (moins de 100 000) (Mediapart, 18 avril) ; puis progressivement la reprise de charters de saisonniers d’Europe de l’Est malgré le confinement, avec des exemples évoqués par la presse en Grande Bretagne ou en Allemagne (Courrier International, 17 avril).


La déstructuration des marchés agricoles percute la situation des producteurs livrant en circuits longs : les maraîchers livrant aux grossistes peinent à trouver des saisonniers pour les récoltes d’asperges et de fraises ; les agneaux de Pâques restent invendus dans les bergeries en raison de l’annulation des fêtes ; les laiteries demandent aux producteurs de limiter leurs productions : «Il faut absolument plafonner la production [laitière] en Europe et indemniser les producteurs», a déclaré Didier Guillaume (Le Figaro, 8 avril). Mis bout à bout, l’ensemble évoque progressivement l’amorce d’une crise du secteur alimentaire :

La solidarité de proximité et la progressive porosité entre circuits longs et circuits courts s’organise ici et là : «Étant double active habitant en ville mais ayant une exploitation agricole, des amis agriculteurs m'ont dit qu'un producteur d'asperges était en difficulté. Du coup chose que je n'avais jamais faite auparavant c'est l'appeler alors qu'on ne s’est jamais vus mais à la campagne on est toujours là fille de… Et j'ai activé la recherche de solutions car ses principales ventes sont en Belgique avec les frontières fermées et la baisse de consommation c'est compliqué. Mise en lien avec la métropole où il y a beaucoup de demandes en circuits courts., un restaurateur actif sur les liens et la solidarité, et contacter mon cousin qui est là tête d'une cuisine centrale pour une entreprise de restauration collective”. (Agricultrice double active, 10 avril)

En Europe, le Green Deal qui oriente l’agriculture vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement passe progressivement au second plan derrière l’urgence de réorganisation des marchés des produits agricoles : l’effritement des mesures en faveur de l’écologisation des pratiques, de la biodiversité, de la lutte contre la déforestation est d’ores et déjà à l’œuvre. En France, la presse relaie les controverses tendues entre d’une part les éléments de connaissance sur le fait que le virus est véhiculé par les particules fines notamment celles issues des épandages et traitements agricoles (Le Parisien, 6 avril 2020), d’autre part la récente décision du 30 mars du ministère de l’agriculture qui «a accordé une dérogation, faisant passer la ZNT (zone de non-traitement, NDR) de cinq à trois mètres dans les départements où une « concertation aura été lancée ». (Le Monde, 18 avril). Le 27 mars 2020, Air Breizh, chargé du suivi de la qualité de l’air en Bretagne, informe d’un épisode de pollution aux particules fines, inattendu en ce temps de réduction d’activité :

Cet épisode de pollution particulaire printanier résulte d’une conjonction de différents facteurs et notamment :

des conditions météorologiques propices à l’accumulation des polluants (temps ensoleillé, conditions atmosphériques stables, vents faibles),

des émissions locales de particules fines PM10 : dont principalement les activités agricoles (épandage et émissions d’ammoniac générant des particules secondaires) et le chauffage (dont chauffage au bois),

de transferts de masses d’air chargées en particules en provenance du Nord-Est.”


Producteurs en circuits courts

Les producteurs en circuits courts affrontent aussi des difficultés organisationnelles liés aux systèmes de vente. Au premier plan, la limitation (en nombre de marchés, en nombre d’étals et de clients autorisés par marchés, et en fréquentation) des marchés de plein vent a engagé producteurs et consommateurs à s’organiser avec d’autres solutions.

Au marché, « il n'y avait qu'un seul stand... celui du boulanger bio d'Essé ! D'après lui, les autres exposants habituels (notamment maraîchers) ont beaucoup de boulot en ce moment, et écoulent peut-être toute leur marchandise par d'autres canaux (paniers, etc.) à tel point que ça ne vaudrait plus le coup pour eux de venir sur ce marché... ? Pendant les 10 mn que je suis resté causer avec le boulanger qui se sentait bien seul, je n'ai vu aucun autre client (pratique pour les distances de sécurité qui souvent ne sont pas respectées sur les autres marchés...), et je suis du coup reparti avec 2 kg de pain mais sans légumes… » (Cesson Sévigné, 35, 6 avril)

Les drives ont pris leur essor, mais également la vente à la ferme où les producteurs proposent parfois à leurs voisins de venir déposer des produits pour enrichir l’offre. La vente à la ferme était en relative stabilité avant le confinement en raison du temps nécessaire pour aller s’approvisionner : ce facteur temps disponible permet justement aux consommateurs de retrouver un intérêt pour cette solution. La fréquentation de toutes les solutions de vente directe se démultiplient spectaculairement, appuyée par des outils numériques :

La fréquentation de notre site bonplanbio.fr, référençant les points de vente de produits bio près de chez vous, a été multipliée par 5 au mois de mars. Le 9 avril, nous avons eu autant de visiteurs sur le site que sur tout le mois de février. Certains producteurs disent avoir multiplié leur nombre de clients par deux (ce qui est parfois embêtant pour les maraîchers puisque c'est un peu la période creuse pour les légumes). Le nombre d'abonnements hebdomadaires à notre page Facebook a lui aussi été multiplié par 3 ou 4 au début du confinement. (animatrice de développement, 17 avril, Finistère)

Entre début avril et le 15 avril, entre 2 et 6 appels journaliers de nouveaux clients dont nous n'avions jamais entendu parler avant la "crise" du COVID-19. Ceux-ci voulaient savoir si nous vendions des légumes à la ferme ou bien en système drive. Nous leur répondions à chaque fois que notre vente du samedi était autorisée par commune/préfet et que nous la maintenions. (…) On peut penser qu'avant le COVID-19, ces personnes ne consultaient pas les plateformes répertoriant les productions locales ( maraîcher Finistère, 16 avril)

Marché à la ferme hebdomadaire chez moi à Vernou. Habituellement 50 familles, depuis 3 [semaines] = 220 familles. Les produits vendus sont tous Bio et locaux. Tous.les.nouveaux clients sont du village de St Quirc ou de Cintegabelle (5km). (11 avril - 09700)

Cependant ces solutions ne sont pas infaillibles. Les produits peuvent manquer pour fournir cette demande démultipliée :

Heureusement, j'avais pris les devants en allant le vendredi chez une productrice qui regroupe la vente à la ferme donc changement de circuit pour moi avec certains producteurs qui restent les mêmes et d'autres non. Mais cette productrice un peu débordée a dû organiser un rationnement (1kg de pommes de terre par famille, 3 grosses carottes par famille...) pour que tout le monde soit satisfait.) (Morlaix 4 avril, consommateur)

A chaque appel, nous précisions également que ce n'était pas la période idéale pour se fournir en légumes locaux car nous étions en plein "creux du maraîcher". Nous avons noté que ces nouvelles personnes, clients potentiels de la ferme, ne devaient pas être au fait des saisons et des légumes qui viennent avec (maraîcher Finistère, 16 avril)

Les solutions de repli vers des modalités de vente locale réinventées ne sont pas toujours immédiates ni suffisantes :

Moi-même apicultrice depuis 4 ans, j’ai espéré qu’avec le confinement, des moyens soient mis en place pour aider au développement des circuits courts. Résultats : des collègues paysans, dont des jeunes agriculteurs en installation, se retrouvent en grosse difficulté de trésorerie et cherchent par leurs propres moyens et leur imagination de nouveaux circuits de commercialisation comme des drives fermiers soutenus par la chambre d’agriculture de Lozère (10 avril)

L’organisation du travail à moyen terme et le maintien d’un équilibre économique se profilent comme des enjeux délicats pour l’ensemble de la période à venir :

Il ne faut pas trop de monde en même temps : ça va vite d’être débordé, de devoir garer les voitures, gérer l’afflux de travaux aux champs : à jour ; les oignons à planter » (un agriculteur bio du Morbihan à propos des ventes à la ferme, 14 avril)

Pour les producteurs que j’accompagne, le quotidien ne change pas, ou très peu (moins d'interactions sociales ou de visites), mais ils sont pénalisés par le manque de main d'oeuvre (chantier participatif annulé ou woofers absents par exemple), les ruptures de stock des pépinières et l'annulation de certaines sources de financement comme des concours de projet agricole durable. (conseillère en agroforesterie basée à Paris, 18 avril)

J’ai fait ma petite enquête auprès de notre paysan boulanger : il va devoir, au rythme qu'on lui demande, racheter de la farine et en Bretagne il n'en trouve plus ! (Consommateur Ile-et-Vilaine, 16 avril).

Il est difficile de convaincre les producteurs eux-mêmes de maintenir un équilibre entre leur travail de production et le maintien du contact avec les mangeurs. Il serait fort dommage que leur activité en pâtisse dans les mois à venir alors qu’il faudrait saisir ce tournant de la résilience des systèmes alimentaires (réaction d’une chargée de développement à un post, 11 avril).

 

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