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Bulletin de Partage 2 - Des habitudes de crise s'installent dans les foyers

Après une première semaine où chacun “cherchait ses marques”, les mangeurs adoptent et maintiennent des modes de fonctionnement face à la crise. Celle-ci est vécue soit comme une menace, à laquelle il convient d’imposer la poursuite rassurante des comportements alimentaires antérieurs, soit comme une opportunité pour de nouvelles pratiques alimentaires.


 

Les témoignages oscillent entre 2 types de comportements. Pour les uns, le maintien de certaines habitudes alimentaires permet de garder des repères et contribue à la réassurance : “mon objectif est de conforter au maximum mon mode de vie habituel” (personne seule en appartement, Lorraine). Cette orientation se traduit en actes, compte tenu de la durée du confinement. Un consommateur des Bouches du Rhône déclare : “le confinement me permet de rendre banaux et quotidiens des habitudes alimentaires. J'espère les faire perdurer ensuite.”

Pour d’autres au contraire, le confinement est vécu comme une opportunité : “la situation de confinement est propice au questionnement sur les modes d'alimentation” (représentant d’une association culturelle dans le Grand Est), ce qui se traduit dans les faits : “la crise est l'occasion de changer nos habitudes de consommation” (consommateur, Nouvelle-Aquitaine).


Entre ces deux pôles, les foyers recomposent une nouvelle sphère : “il y a un équilibre entre une ambiance de restrictions et une volonté d'équilibre (se maintenir en bonne santé)” (consommatrice confinée en famille, Bretagne). Dans chacun des deux groupes, le local, souvent associé à la qualité et à la confiance, fait partie des préoccupations. On la relève dans le premier groupe : “l'objectif est de continuer à avoir une alimentation saine sans courir dans tous les sens” (consommatrice, Ile de France) “à présent, il me semble que ça [adhésion à une AMAP] fait plus de sens encore”, comme dans le second : “un retour à "l'essentiel" se produit sensiblement [...] J'ai surpris mon conjoint faire le constat que cette période créait une prise de conscience chez lui pour consommer davantage des produits locaux et de qualité” (consommatrice, Bretagne). Les menaces du COVID sur la santé inclinent les mangeurs à être d’autant plus attentifs à celles qu’ils pourraient rajouter par leur alimentation : “on sait qu'il faut faire d'autant plus attention à notre santé pour ne pas tomber malade donc on mange très sainement” (consommatrice, Bretagne).


Si l’ambiance de crise incite la plupart des mangeurs à réduire le gaspillage “je cuisine en cocotte-minute en grande quantité et JE CONGELE L'ENSEMBLE CUIT, divisé en quantité journalière à décongeler chaque jour pour éviter tout gaspillage” (consommatrice à risque asthmatique, Nouvelle-Aquitaine), d’autres au contraire relâchent leur vigilance : “Moi qui suis dans une démarche zéro déchet depuis peu, je la mets de côté pendant la crise sanitaire. D'ailleurs c'est le seul aspect de mes "bonnes résolutions habituelles" qui est vraiment remis en question en ce moment” (consommateur, Bretagne).

L’alimentation en temps de crise peut cependant être une “source d’angoisse” comme le déclare cette consommatrice parisienne habitant un appartement au 6ème étage sans ascenseur : “le régime alimentaire de mes enfants a tout de suite été une priorité et un casse-tête [...] le poids des courses (des bouteilles en verre, du lait, etc.) joue énormément dans mes choix et me contraint à faire des courses au minimum tous les deux jours [...] Je ne sais toujours pas comment nettoyer les fruits et les légumes”.


Les deux pôles identifiés pour le comportement général se reflètent dans le régime alimentaire de crise. Pour les uns “peu de changement sur l'alimentation si ce n'est moins de viande” (consommateur, Bretagne), “nous cuisinons à l'ancienne, même pendant le confinement” (couple, Bretagne). Pour beaucoup d’autres au contraire, le régime alimentaire évolue. Certains s’adaptent aux circonstances : “on a donc très bien mangé, et même plus riche que d'habitude” (consommatrice, Ile de France) “nous cuisinons un repas "découverte" sur recette / jour, chacune son tour” (consommatrice, Bretagne). D’autres au contraire revoient profondément leur modèle alimentaire : “ j'ai changé de régime alimentaire. Je pratique le jeûne intermittent” (consommatrice qui vit seule, Bourgogne Franche-Comté), “je suis à mon 4 jour de jeûne. J’ai souhaité profiter de ce contexte de retour à soi pour aller encore un peu plus loin dans l’expérience d’intériorisation” (consommatrice, Auvergne Rhône Alpes), “augmentation de la quantité de viande dans une alimentation quasi végétarienne” (consommatrice, Grand Est). Le recours à des aliments considérés comme de réconfort est très répandu : alcool et chocolat, mais aussi pâtisseries, chips.... Le contexte social du confinement (solitaire ou en groupe) influe sur les changements : “les repas que nous ne prenions pas forcément ensemble sont redevenus des moments conviviaux et de partage. La présence d’une personne vegan a obligé à bouleverser la proposition de cuisine” (consommatrice, Ile de France), “en raison du confinement, mon conjoint qui travaille en Allemagne m'a rejoint. Nous avons changé nos habitudes de consommations, car maintenant nous sommes deux” (consommatrice, Bretagne).

Mais le changement peut aussi être subi, avec le ressenti d’une dégradation de l’alimentation : “habituellement, j'achète beaucoup de frais notamment des salades mais j'ai rompu avec cette pratique de façon irraisonnée liée à la peur.” (consommatrice, Nouvelle Aquitaine), “confinement oblige nous ne faisons plus les courses qu'une fois par semaine du coup beaucoup moins de légumes et fruits frais et pratiquement plus de viande - la salade nous manque beaucoup” (couple de retraités, Occitanie), et des retours en arrière sont possible “au bout d'une dizaine de jours, on en a eu assez, et puis trop de sucre aussi, gâteaux, chocolat, plus que de coutume” (consommatrice, Ile de France).


Le facteur temps, puisque certains confinés en disposent plus qu’avant, est aussi moteur : “avoir plus de temps pour le faire permet de cuisiner mieux et plus” (consommatrice, Auvergne-Rhône-Alpes) ; “nous prenons le temps de faire, de plus en plus souvent, une entrée, alors que jusqu'à maintenant, nous faisions "sauter" cette étape” (membre d’une AMAP, Bretagne).

L’évolution des modes de préparation suit bien évidemment les évolutions du régime alimentaire : “depuis le confinement, j'expérimente” (consommateur, Auvergne-Rhône-Alpes). L’affectation aux tâches de préparation d’une partie, voire de l’essentiel, du temps libéré est unanime : “le temps donné par le confinement me donne l'occasion de cuisiner davantage, ce qui me permet d’inclure plus de légumes, je fais beaucoup de repas salade composée” (consommateur, Auvergne-Rhône-Alpes) ; “mon entourage et moi cuisinons beaucoup plus, dont du pain” (consommateur, Hauts-de-France). Cette dernière mention introduit le fait que le pain est devenu l’aliment-vedette de la préparation au foyer : “je pense à présent maintenir cette habitude de faire mon propre pain, et certainement d'en faire partager mes amis car lorsqu'on s'y met autant en faire une certaine quantité. C'est quelque chose dont j'avais le désir depuis longtemps mais pas assez de temps devant moi pour vraiment le mettre en place” (femme artisan de 32 ans, Ile de France). Outre son aspect symbolique et le fait que son achat quotidien multiplie les sorties, le pain est une opportunité d’échange, singulièrement par le levain : “nous avons décidé avec mes fils (par skype) de faire chacun notre levain. J'avais toujours pensé que c'était compliqué et puis finalement avec le confinement… Nous avons diffusé à des ami(e)s et nous avons tous décidé d'essayer et de nous donner des nouvelles de notre levain” (consommateur, Bretagne).

Nous ne pouvons manquer de relier cette progression au fait que la farine manque aujourd’hui dans la plupart des magasins, mais en deuxième vague, contrairement aux pâtes qui ont été stockées immédiatement après le confinement : “nous ne sommes pas les seuls [à faire du pain] (rupture de stock de farine dans les supermarchés !)” (étudiant, Hauts-de-France). Cette pénurie relative est propice à des découvertes : “quand toute la farine T65 a été écoulée, les gens ont bien été obligés de se rabattre sur la T80 puis la T110, et quand le blé a été écoulé, ils ont découvert le sarrasin, le petit épeautre.” (employé de commerce, Auvergne-Rhône-Alpes).

L’ensemble de ces observations laisse penser que les mangeurs ont “pris leurs marques”. L’agitation connue en première semaine s’est dissipée rapidement, et les consommateurs se sont ancrés dans des habitudes et des routines qui leur offrent des repères stables, que celles-ci prolongent celles qu’ils avaient antérieurement ou au qu’au contraire elles les révolutionnent. Cette remarque ne préjuge en rien de leur poursuite après le confinement.



 

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